Dans cet article, j’aborde un sujet très important: celui des traumatismes que nous serons (presque) tous confrontés à subir, et surtout les conditionnements négatifs qu’ils causent et comment éviter leurs conséquences délétères sur notre vie.
Je vais vous présenter ici la manière dont les conditionnements s’insinuent en nous et génèrent des réactions le plus souvent inappropriées, qui nous rendent malheureux.
Je vous proposerai ensuite des pistes pour vous en libérer.
Lorsque nous vivons une situation traumatisante, nous désirons supprimer les souvenirs douloureux qui y sont liés.
Le désir de changer le cours de ces événements, la culpabilité et la volonté d’oublier inoculent en nous des pensées parfois douloureuses et obsédantes.
C’est le cas, par exemple, des personnes qui ont vécu l’inceste dans leur jeunesse1.
Les personnes traumatisées risquent de voir défiler dans leur esprit d’horribles images, parfois sous forme de cauchemars.
Chaque fois, des émotions pénibles les submergent, ce qui peut contribuer à développer de l’hyperémotivité.
Comme je l’ai mentionné dans mon article précédent sur les pensées intrusives, le désir instinctif de fuir les pensées douloureuses et la réaction physiologique qui s’ensuit nous empêche de nous y adapter.
Cela favorise l’intrusion et la répétition de ces pensées et des émotions intenses qui les accompagnent.
Lorsque nous vivons un traumatisme, nous sommes aussi souvent honteux de nous-mêmes et désirons cacher ces événements à nos proches, ce qui rend les souvenirs d’autant plus lourds à porter.
Pourtant, en révélant ce qui nous pèse, bien que sur le coup cela puisse nous plonger dans un grand malaise, nous améliorons de façon significative notre état psychologique et même notre santé.
Le mieux-être se traduit notamment par une diminution de l’anxiété et de la pression artérielle.
D’où viennent les conditionnements?
Même si les traumatismes profonds ne sont heureusement pas répandus, pour la plupart d’entre nous, le passage à l’âge adulte ne s’effectue pas sans heurts.
L’enfance et l’adolescence comportent toujours leur lot de découvertes, de conflits et de confusion devant certains choix importants.
Nous aurons donc beaucoup de chances d’être marqués négativement par certaines choses, de vivre des traumatismes de moindre envergure.
C’est ainsi que nous adoptons, habituellement inconsciemment, des attitudes afin d’échapper aux expériences négatives.
Ce sont les conditionnements.
Si ces conditionnements nous permettent de nous dérober aux situations désagréables, ils ne les règlent pas, car en agissant ainsi nous ne pouvons jamais les comprendre ni trouver de véritable solution.
C’est ainsi que peut se développer le trouble de personnalité caractérielle.
À la suite à ces comportements inadéquats, de nouveaux problèmes risquent de se manifester…
Les conditionnements ressemblent à ce que les béhavioristes nomment le « conditionnement classique »2.
C’est à la fois la répétition des expériences et leur aspect désagréable qui les impriment en nous.
Par exemple, de fréquents échecs scolaires sont habituellement associés à l’humiliation.
Il en résulte une plus grande sensibilité lors des expériences ultérieures: le seuil de réactions à des expériences négatives similaires est très bas.
La moindre parole, le moindre événement pourront faire réagir.
Nous appelons souvent certains de ces comportements de la susceptibilité.
Les conditionnements proviennent de différentes blessures, comme ce que nos parents nous ont maladroitement dit dans notre enfance.
En effet, pendant l’enfance, nous dépendons totalement d’eux: leur amour et leur attention sont synonymes de survie.
C’est la raison pour laquelle les valeurs et les attitudes familiales sont si importantes, surtout si elles sont paradoxales ou irrespectueuses.
Mais ces traumatismes découlent aussi de la méchanceté des camarades d’école qui ne savent pas encore combien leurs paroles et leurs actes peuvent blesser les autres.
Par exemple, le désarroi que vivent les jeunes homosexuels lorsqu’ils sont ostracisés en a conduit certains jusqu’au suicide !
Des événements désagréables risquent donc de nous marquer davantage pendant notre jeunesse, justement parce que nous ne disposons pas encore d’une identité mature ni du recul nécessaire pour les comprendre.
Mais les conditionnements se développent aussi pendant l’âge adulte.
Ils nous amènent à nous dérober maladroitement à nos problèmes sans jamais les régler à leur source.
C’est la raison pour laquelle il est primordial de vous attarder à ces réactions, car elles risquent fort de se traduire par des attitudes qui nuiront à votre bien-être.
Quels problèmes les conditionnements et la susceptibilité engendrent-ils ?
Les conditionnements ont pour fonction de nous éviter de souffrir.
Ce sont des comportements alternatifs qui s’imposent pour palier des lacunes ou esquiver les souvenirs difficiles.
Malheureusement, ce ne sont habituellement que des réactions impulsives qui permettent essentiellement de contourner les problèmes et peuvent causer davantage de complications à notre insu.
À mesure que nous vieillissons, nous renforçons ces attitudes qui prennent une place importante dans notre identité et nos croyances.
Elles influencent la manière dont nous interprétons les événements et y réagissons.
L’expression peut-être la plus constante d’un conditionnement consiste à nier nos propres problèmes.
Parce qu’un travers est douloureux, nous faisons comme s’il n’existait pas.
Cette stratégie risque pourtant de s’avérer extrêmement éprouvante à long terme.
Par exemple, c’est ce que font les personnes qui veulent à tout prix échapper à un différend.
Au lieu de s’exprimer, elles se contentent de donner raison à leur interlocuteur.
Cette attitude ne règle pourtant rien et découle même d’un autre problème: la crainte extrême des conflits.
Parce que ces personnes ont déjà vécu de douloureux conflits, leur stratégie est d’éviter que pareille situation se répète.
Mais que règlent-t-elles ?
Et à quel prix ?
Rien ne leur permet de conclure qu’elles seront nécessairement mal reçues simplement parce qu’elles aimeraient dire quelque chose.
Et même dans cette éventualité, elles peuvent avoir raison sans vivre de différend.
Ce conditionnement risque de toujours amener la personne à se nier.
À long terme, cette attitude occasionne un manque de confiance en soi, de l’amertume et même parfois des explosions « inexplicables » de colère.
Cela vaut-il la peine de vivre tant de désagréments pour éviter des situations éventuellement conflictuelles qui, dans tous les cas, pourraient aussi se régler pour le mieux, à leur source ?
Voici un autre exemple typique des conditionnements.
Celui-ci est encore plus important car il illustre le processus complexe par lequel de nombreuses personnes élaborent une identité conflictuelle qui les fait ensuite souffrir.
Jacques agit avec les autres comme un rustre égocentrique, désagréable et prétentieux. Il fait donc le vide autour de lui et les gens le trouvent invariablement imbuvable.
Comment en est-il arrivé à se comporter de la sorte ?
Voici un bref résumé des étapes au cours desquelles les fausses croyances se sont intégrées à l’identité de Jacques et l’on « conditionné » à agir de la sorte:
1. Jacques a parfois été rejeté par les autres, particulièrement pendant son enfance et son adolescence.
2. Il a vécu très durement ces situations qui l’ont fait souffrir et auxquelles il ne comprenait rien.
Pour contourner cette souffrance, il a élaboré une vision palliative de lui-même qui intégrait ses expériences difficiles afin de les vivre le mieux possible.
Cette vision de lui-même qui impliquait des conclusions fausses, fruits des distorsions cognitives, influence dorénavant aussi bien sa manière d’interpréter les événements que sa manière d’y réagir.
3. Puisque Jacques est convaincu qu’il sera rejeté, il agit avec les autres avec mépris.
Cette attitude provoque des conflits, ce qui éloigne les gens et renforce sa croyance selon laquelle il n’a aucune valeur personnelle.
Son malheur se perpétue, se nourrissant de lui-même.
Jacques connaît donc de nombreuses manières de changer le sens des événements et de se construire une réalité sur mesure quand il a besoin de justifier une situation difficile comme le rejet social.
Au lieu d’essayer de comprendre les raisons d’un tel rejet, il procède à un contournement qui le lui fait considérer comme « normal », et il modifie son comportement pour rendre cette « évidence » moins blessante.
Le plus dommage, c’est que la perception qu’il a de lui-même se transforme en fonction de ce genre de conclusion absolument fausse.
Une identité comme celle de Jacques qui comporte des croyances aussi erronées influence l’estime de soi, la confiance en soi et même la façon de voir les autres.
Son interprétation de la réalité changera jusqu’à lui laisser croire que les autres sont incapables de l’apprécier.
S’il croit n’avoir aucune valeur et qu’il trouve tout naturel d’être rejeté, comment ne pourrait-il pas céder à l’autodénigrement et à la jalousie ?
Par ailleurs, vouloir prouver aux autres qu’il est « meilleur » relève d’une démarche stérile.
La personne la plus riche, la plus belle, la plus populaire, la plus intelligente du monde n’a pas plus de valeur qu’une autre et n’est pas nécessairement plus heureuse.
Toute tentative du genre pour « augmenter » sa valeur restera vaine.
Seules ses distorsions cognitives peuvent mettre sa valeur en péril (dans sa propre tête) !
Par contre, le comportement désagréable de Jacques, lui, déplaira réellement aux autres et les éloignera de lui.
Et ce rejet ne proviendra pas de son manque de valeur mais bien du comportement désagréable qu’il a adopté pour gagner, à ses propres yeux, une valeur qu’il n’a pourtant jamais perdue.
Pire, puisque ses conditionnements s’intègrent graduellement à son identité, l’ensemble de ses croyances et de ses comportements tendra à justifier ses pénibles conclusions.
Sa vision complète de la vie subira les attaques de ce processus et il se complaira dans cet état.
Les résultats des conditionnements sont désastreux et se présentent dans bien d’autres situations que le rejet social.
C’est à partir de ces habitudes que nous développons des attitudes inadaptées comme la sensibilité extrême, la susceptibilité ou la perte de confiance en soi.
Au lieu de régler nos problèmes, ces tentatives d’évitement ne nous font que souffrir davantage.
Voici une autre bonne illustration de ce problème, fournie cette fois grâce au physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936).
Ce Prix Nobel de médecine en 1904, en partie à l’origine du béhaviorisme, a remarqué que les chiens avec lesquels il faisait ses expériences salivaient au son de la clochette annonçant l’arrivée de nourriture.
Après quelques séances, il a constaté qu’il n’y avait plus aucun besoin de viande pour déclencher leur réaction.
La clochette seule suffisait.
Même si cet effet procède d’un simple conditionnement, il ne faut pas croire que les êtres humains y échappent.
N’oublions pas que nos réactions sont souvent automatiques.
Ainsi, la réaction des chiens, comme la réaction conditionnée de Jacques, s’opère au détriment de l’un des deux critères applicables aux informations que l’on recueille, soit celui de la quantité.
En effet, Jacques se laisse aller à certaines réactions en ne disposant pratiquement d’aucune information, tout comme le pauvre chien qui salive au son d’une clochette sans même qu’il y ait présence de nourriture.
Le comportement de Jacques n’est donc pas adapté à la situation réelle.
Il ne se fie qu’à une association !
Avec les conditionnements, nous risquons de réagir avant même de savoir pourquoi.
Et nous nous trompons chaque fois que la situation ne correspond pas à l’association qui s’est créée dans notre tête.
Une personne qui, à la suite de quelques agressions, adopte un comportement défensif face à tout le monde, se méprendra fréquemment sur les intentions d’autrui et en souffrira beaucoup (en faisant évidemment souffrir les autres).
En psychologie, l’interférence de Stroop illustre ce genre de traitement automatique que fait notre cerveau.
Il s’agit d’un conflit entre deux processus différents de reconnaissance visuelle.
L’expérience consiste à lire les mots de différentes couleurs qui sont imprimés avec de l’encre d’une couleur différente.
Le conflit se produit parce qu’une partie du cerveau décode le sens linguistique des mots tandis qu’une autre identifie la couleur3.
Il est malaisé de nommer la couleur du mot ou celle de l’encre, car l’autre information s’impose continuellement.
Essayez pour voir !
Mots faciles à lire:
- Vert
- Orange
- Jaune
- Rouge
- Bleu
Mots difficiles (la couleur et le mot ne correspondent pas: vous voyez, ça vous prend plus de concentration pour lire !)
- Bleu
- Rouge
- Jaune
- Orange
- Vert
Répétés à de trop nombreuses reprises, les conditionnements peuvent avoir pris la forme de pensées automatiques négatives.
Tout comme l’interférence de Stroop, il est alors difficile de les empêcher de surgir.
Nos conclusions s’affirment rapidement et nous briment, même si elles ne correspondent pas à la réalité.
Et elles s’organisent autour de notre identité, de notre manière de nous percevoir.
Si ces habitudes favorisent une réaction rapide, elles ne permettent cependant pas toujours de réagir adéquatement aux situations.
Elles engendrent des états dépressifs et des réactions émotionnelles inutilement intenses, comme l’angoisse ou l’agressivité.
Les conditionnements se manifestent donc chaque fois que nous réagissons trop rapidement à des situations qui peuvent signifier bien autre chose…
Voici quelques autres désavantages de ces conditionnements:
- Ils utilisent des distorsions cognitives, comme lorsque nous généralisons, concluons trop hâtivement, etc.
- Ils nous font croire en une seule interprétation des événements, ce qui empêche le recadrage et éveille la susceptibilité;
- Ils nous condamnent à adopter des comportements inadaptés à plusieurs situations sans jamais susciter de prise de conscience;
- Ils multiplient les expériences négatives, les conflits et les échecs.
Il est souvent difficile d’expliquer ce processus destructeur à une personne qui en souffre sans qu’elle se sente attaquée.
Puisque les conditionnements sont intégrées à l’identité, dire à une personne qu’elle a « tort » de se juger négativement équivaut à lui dire qu’elle s’est trompée.
Même si l’objectif final reste son bien-être, si son estime de soi est vacillante, elle y verra une critique personnelle et refusera systématiquement d’écouter ce que nous lui exprimons.
Identifier les distorsions cognitives et leurs conséquences désastreuses est très difficile.
Et c’est tout à fait normal. Pourquoi ?
Parce que nous interprétons et expliquons continuellement nos expériences de vie.
C’est nous qui forgeons le sens de toute chose.
Il devient alors très difficile de critiquer ce sens car, puisque nous en sommes les auteurs, nous avons de bonnes raisons de le croire vrai et cohérent, même lorsqu’il nous torture…
C’est pourquoi, si nous voulons vraiment vivre heureux, nous devons d’abord admettre que nous pouvons améliorer des facettes de nous-mêmes.
Très souvent, les pires distorsions cognitives empruntent le visage de choix, de valeurs ou de justifications.
Mais nous pouvons véritablement les débusquer et les éliminer !
Remédier aux conditionnements
Notre système nerveux central contrôle des activités qui ne relèvent pas de notre volonté.
Non seulement les processus automatiques ne requièrent presque pas d’attention, mais ils sont difficiles à arrêter.
Puisqu’ils découlent d’une longue pratique, les conditionnements sont devenus de véritables habitudes.
Ils font affluer en nous des pensées et des émotions négatives et engagent des réactions automatiques qui ignorent l’analyse des informations à notre disposition.
Mais nous ne sommes pas condamnés pour le reste de notre vie !
L’important est de savoir qu’en fournissant un effort nous deviendrons conscients de ces mécanismes destructeurs au moment où ils se mettent en marche.
Nous pouvons toujours réviser nos réactions et briser des habitudes néfastes pour construire une identité harmonieuse.
Il n’est jamais trop tard pour changer et nous sommes tous en mesure de le faire.
Nous éliminerons les conséquences destructrices de nos mauvaises habitudes grâce à la mise en place d’un contrôle accru.
Le recadrage brisera le cycle des réactions automatiques pour nous aider à rechercher continuellement plus qu’une possibilité dans notre interprétation des événements.
Nous devons cependant rester prudents face aux conditionnements.
Nous manifestons un grand intérêt à identifier les « racines » de nos problèmes personnels lorsque nous nous efforçons d’expliquer pourquoi nous sommes malheureux aujourd’hui.
Pourtant, la relation de cause à effet entre un traumatisme passé et un état présent demeure ténue, difficile à valider et encore plus difficile à systématiser.
Même si un malaise apparaît tout de suite après qu’un événement survient, il n’en demeure pas moins que nos problèmes découlent bien plus de l’attitude que nous adoptons par la suite.
Qu’un traumatisme soit dû à une situation particulière, à nos parents ou à qui que ce soit d’autre, il faut se rappeler que nos problèmes ultérieurs proviennent bien davantage de ce que nous en avons fait.
Les souffrances proviennent des distorsions et des réactions inadaptées qui ont suivi avec les années.
Nous allons même jusqu’à nous inventer de fausses justifications: nous ne pouvions pas être aimés, nous étions incapables de réussir, etc.
Dans bien des cas, il s’agit bien plus d’un autoconditionnement que des conséquences d’un traumatisme…
L’exemple de Jean |
Jean croit que ses difficultés à entretenir une relation avec une femme aujourd’hui sont dues au fait que sa mère s’est mal occupée de lui lorsqu’il était enfant. Étant donné que cette explication le satisfait, il ne cherche pas de solutions à ses difficultés relationnelles. Jean se maintient ainsi dans l’ignorance. Il ne sait pas que ses problèmes peuvent provenir d’une autre source, qu’ils découlent peut-être de sa difficulté à penser aux autres ou à faire des compromis, ce qui l’empêche de s’engager dans une relation. |
Croire que l’on peut réussir à identifier une seule source à ses problèmes (sa mère, par exemple) est extrêmement simpliste !
Rappelez-vous que ce n’est pas l’environnement qui est simple mais nos processus cognitifs qui les simplifient pour comprendre et évoluer dans cette complexité, simplification qui nous cause bien des tracas…
En sélectionnant parmi ses souvenirs les informations négatives associées à sa relation avec sa mère, Jean omet d’identifier aussi les aspects positifs.
Pire, sa « réponse » qui met toute la faute sur sa mère semble tellement bien expliquer sa détresse qu’il en ressent un certain bien-être et conclut que désormais il se connaît mieux, alors que, bien au contraire, il s’est enfermé dans de fausses justifications et n’a rien réglé du tout…
En outre, même si la réponse de Jean est vraie en partie, elle ne lui explique pas comment régler ses problèmes.
Elle l’empêche de mieux se comprendre et surtout de trouver de véritables solutions à son problème parce qu’il cesse de chercher.
Vous gagnez donc à diriger votre attention non pas sur les traumatismes eux-mêmes mais sur les mauvaises habitudes que vous avez développées pour en atténuer la souffrance.
Au lieu de nous contenter du simple soulagement qui accompagne l’impression de comprendre la cause de nos problèmes, le recadrage nous aide à nous défaire des modes de réaction qui nous font toujours souffrir.
Identifier les conditionnements
Au gré de nos expériences, nous avons probablement tous mis au point quelques conditionnements.
Puisque les causes de ces conditionnements sont presque infinies, voici plutôt quelques exemples de leurs « symptômes », pour savoir si nous en souffrons:
- Interpréter les attitudes ou les intentions d’autrui de façon rapide et stéréotypée: « Elle veut profiter de moi », « Il me ment », « Elle m’a trompé », etc.
- Être incapable de faire confiance, de communiquer, d’entrer en relation avec les autres.
- Voir se répéter constamment les mêmes situations désagréables dans les contextes interpersonnels: conflits, rejet, malentendus, etc.
- Inhiber son comportement ou éviter systématiquement les situations sociales où un conflit risque de survenir.
- Ne penser qu’à soi. L’égoïsme, en effet, provient parfois d’une réaction de défense qui a été généralisée.
- Se condamner rapidement à la moindre occasion: « Elle ne m’a pas apprécié », « Je ne pourrai jamais réussir », « Il est normal que les autres ne m’aiment pas », etc.
Vous aurez remarqué les caractéristiques communes à tous ces exemples.
Les conditionnements sont automatiques (rapides) et généralisent des informations insuffisantes.
Comme les distorsions cognitives, les conditionnements nous rendent malheureux.
Ce sentiment de malaise constitue donc aussi un bon indice pour les identifier.
Le recadrage constitue un outil efficace pour prévenir ces réactions trop rapides.
Grâce à cette technique, plutôt que de conclure contre nous-mêmes, nous comprenons mieux pourquoi nous sommes malheureux.
La distance qu’il instaure nous aide, par exemple, à ne pas croire trop rapidement qu’une parole ou un comportement de la part d’autrui vise nécessairement à nous nuire.
Il élargit le champ des possibilités.
Le recadrage fait évoluer notre manière de voir la vie en révisant la pertinence de nos références et le contenu de nos conclusions.
Si une personne a vécu un rejet dans sa jeunesse, elle se réfère peut-être constamment à certains épisodes de ce rejet pour croire que, même devenue adulte, les gens ne l’apprécient pas.
Ses faux repères gagneraient énormément à être déconstruits.
Les enfants ne réfléchissent pas lorsqu’ils se lancent des insultes.
Ils ne pensent pas non plus à la peine qu’ils se font les uns les autres.
Leur attitude se fonde sur l’impression du moment, comme le désir d’avoir un jouet ou d’être apprécié, même aux dépens des autres.
Le rejet social ne découle habituellement pas d’une évaluation approfondie de la personne rejetée et, même si c’était le cas, cette évaluation ne suffirait jamais à déterminer sa valeur intrinsèque.
Le recadrage de ces conclusions montre que nous n’avons aucune raison de nous dénigrer.
Pour ces raisons, l’adulte qui repense aux expériences difficiles de son passé peut réévaluer leur signification, y accorder moins d’importance et cesser de les utiliser pour se faire souffrir.
La valeur supérieure accordée aux émotions
Pour terminer cet article, je vais parler d’un sujet que je considère très important, et qui peut lui aussi être source de grandes souffrances.
Il s’agit de l’importance démesurée que certaines personnes accordent à leurs émotions.
Ça peut paraître banal dit comme ça, mais la valeur quasi magique que certaines personnes accordent à leurs émotions peut causer et entretenir de nombreux problèmes.
Depuis toujours, l’expression des émotions, surtout dans leur excès, a fasciné les êtres humains.
Source d’intense béatitude comme des pires tourments, les émotions ont progressivement marqué les mythes, les religions et les cultures.
Elles ont aujourd’hui acquis de très nombreuses connotations, positives ou négatives.
Le caractère exclusif et imprévisible de l’émotion est ainsi devenu un puissant attrait pour de nombreuses personnes.
Par exemple, certains artistes lui ont attribué une valeur inaliénable, faisant de l’émotion plus que la source de leur inspiration, le sens même de leur vie.
La science-fiction l’a même souvent décrite comme la propriété distinctive de l’être humain qu’aucune machine ne pourra jamais reproduire.
Du point de vue du cerveau, je dois rappeler que les émotions sont indissociables de la raison et qu’elles lui sont même très utiles4.
Toutes les parties de notre cerveau interagissent constamment les unes avec les autres.
Et sans les émotions, nous éprouverions de graves déficits cognitifs, comme l’incapacité à prendre des décisions.
Malgré cette réelle utilité, l’expression exagérée de certaines émotions, comme la tristesse, la colère et l’anxiété (pendant une dépression) occasionne de très graves souffrances.
À certaines occasions, les émotions vont même jusqu’à nous empêcher de réfléchir.
Le cerveau humain ne s’est pas développé d’un coup.
Les parties du cerveau qui gèrent les émotions (le diencéphale et le système limbique) sont plus primitives que le néocortex mais fonctionnent toujours conjointement avec lui5.
Le problème, c’est qu’une activité émotionnelle intense coupe l’accès au néocortex, particulièrement au lobe frontal qui nous permet d’évaluer et d’inhiber des actes que nous pourrions regretter.
Les émotions négatives rendent ainsi particulièrement difficile l’usage du recadrage.
En nous submergeant, elles nous empêchent de comprendre ce qui se passe et de trouver une solution.
Le contrôle métacognitif sur notre état et nos actions s’avère donc grandement réduit.
Voici les différents désavantages qu’un flot impétueux d’émotions négatives occasionne:
- Elles influencent négativement nos décisions.
- Les émotions négatives nous coupent l’accès aux informations en mémoire et diminuent notre attention.
- Elles provoquent des distorsions cognitives et/ou les entretiennent6. Les distorsions cognitives sollicitent aussi directement les émotions négatives.
Les émotions ont aussi une valeur objective très limitée pour déterminer la validité d’une situation ou d’une conclusion.
Si elles sont tout à fait appropriées à la création artistique ou à la satisfaction qui suit un excellent repas, elles ne nous renseignent en aucun cas sur notre valeur personnelle !
Combien de fois, sur le coup de l’émotion, avons-nous dit des paroles ou fait des gestes que nous avons amèrement regrettés par la suite ?
Des relations diplomatiques s’écroulent parfois sur un simple coup de tête, à cause de réactions colériques et irréfléchies.
Imaginez que Christian veut expliquer à Diane que certaines de ses attitudes sont désagréables.
Il ne veut cependant ni la rabrouer inutilement ni se venger: il souhaite lui faire part d’un problème de façon constructive afin de le régler à leur profit à tous les deux.
Si, aux premiers mots de Christian, Diane se laisse envahir par la tristesse ou une colère intense, se croyant d’emblée rejetée, il ne pourra jamais résoudre quoi que ce soit !
Pourtant, Christian n’attaque pas Diane, il essaie simplement de résoudre un problème…
Il ne faudrait pas croire que je défends ici une position rationnelle visant à inhiber toute émotion !
Le fait de recourir au recadrage ne signifie pas que l’on doive refuser les délices de doux transports émotionnels.
Même les gens très rationnels, qui considèrent les émotions comme mauvaises, seraient surpris d’apprendre que c’est grâce à elles qu’ils peuvent apprécier une pièce de théâtre, s’émerveiller devant la nouveauté ou même s’intéresser au plus récent ouvrage de physique quantique !
Chaque jour, nous stimulons pratiquement toutes les parties de notre cerveau. La raison et les passions ne paraissent distinctes que dans leurs manifestations observables.
Dans la réalité de leur fonctionnement, ces différentes parties restent toujours solidaires: elles forment un tout indissociable.
Le but n’est donc pas de nous insensibiliser, car nous ne serions jamais heureux…
Nous ne gagnerions pas non plus à réprimer nos émotions négatives: cela donnerait des résultats encore pires.
Grâce au recadrage, il s’agit plutôt d’assainir notre interprétation pour éviter que des émotions négatives envahissent notre quotidien.
Nous déconstruirons ainsi leur source: les distorsions cognitives.
Par rapport aux états de crise dans lesquels nous plongent les émotions négatives, le recadrage fournit les capacités suivantes:
- Penser avant d’agir.
- Prévoir à plus long terme pour maximiser les actions présentes en vue d’obtenir les meilleurs résultats (ne pas agir impulsivement).
- Exercer un contrôle sur les comportements destructeurs, au moment où ils se produisent, et dans lesquels certaines émotions jouent un rôle important.
Dans les articles suivants, je vais vous présenter en détail toutes les étapes du recadrage, pour que vous puissiez profiter de ce fantastique outil psychologique plus facilement.
Si cet article vous a plu, sachez qu’il est tiré de mon livre Petit traité antidéprime. Vous pouvez vous le procurer en version ebook pour le lire en entier.
Références
- Voir SILVER, R. L., C. Boon et M. H. Stones (1983), «Searching for meaning in misfortune: Making sense of incest», dans Journal of Social Issues, vol. 39, p. 81-102.
- JOHNSON, D. W. et Matross, R. P. (1975), «Attitude modification methods», in F. H. Kanfer and A. P. Goldstein (dir.), Helping people change: A textbook of methods, New York, Pergamon Press, p. 68.
- DUNBAR, K. et C. M. MacLeod (1984), «A horse race of a different color: Stroop interference patterns with transformed words», dans Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, vol. 10, p. 622-639.
- DAMASIO, A. R. (1995), L’erreur de Descartes: la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 368 p. Je vous en recommande d’ailleurs fortement la lecture, si c’est votre genre de livre.
- PLUTCHIK, R. (1980), Emotion. A psychoevolutionary synthesis, New York, Harper and Row, 440 p.
- MACLEOD, C. et A. M. Donnellan (1993), «Individual differences in anxiety and the restriction of working memory capacity», in Personality and Individual Differences, vol. 15, p. 163-173. Et SCHWARZ, N. (2000), «Emotion, cognition and decision making», dans Cognition and Emotion, vol. 14, number 4, p. 433-440.
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