Ce texte est l’un des chapitres de ma fable de développement personnel Le crapaud et le prince qui ne se trouvait pas charmant. Voici la suite du chapitre précédent !
Le jour tombait maintenant sur le pays enchanté. Les horloges volaient vers les maisonnettes des paysans pour sonner l’heure du soir.
À la vue de la grande porte du château, le pas gaillard du prince commença à ralentir et un horrible doute l’assaillit.
– Je veux bien changer ma vie, mais si je ne réussis pas ?
Le crapaud lui envoya alors une claque retentissante derrière la tête (ce que le prince sentit comme une minuscule chiquenaude étant donné la taille du crapaud).
– Ne commence pas à douter de toi alors que tu n’as encore rien commencé ! Tu ne réussiras que ce que tu te crois capable de réussir, lui dit vivement le crapaud. Et d’abord, pourquoi es-tu aussi malheureux ?
Les deux compagnons étaient maintenant dans l’ascenseur. Ils se rendaient vers la chambre du prince, dans la plus haute des deux tours du château.
Le prince réfléchissait toujours à la question du crapaud. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et le prince grimpa quatre à quatre les trois marches qui menaient à sa chambre.
D’un ton hésitant, il répondit:
– Pourquoi je suis malheureux ? Je ne sais pas… Peut-être parce que je ne fais pas ce que j’aimerais vraiment faire.
– Et pourquoi ne fais-tu pas ce que tu aimerais vraiment faire ? défia le crapaud.
– Parce que je ne peux pas. Je n’en serais probablement pas capable, et les autres ne me laisseraient pas faire autre chose que ce que je dois faire chaque jour.
Le crapaud était songeur.
– Et qu’aimerais-tu vraiment faire ?
– Je n’en suis même pas sûr ! cria le prince, excédé. Et puis cesse donc de me tourmenter !
En effet, ce dernier commençait à être agacé de toutes les questions du crapaud, qui lui adressa alors un sourire.
– Aha ! Je commence à comprendre la source de tes malheurs.
– Ah oui ? risqua le prince, tout à coup intéressé.
– Selon ce que je constate, tu ne sembles pas très habitué à te poser des questions sur toi-même et sur ta vie. Or, ce genre de réflexion est la voie privilégiée que les philosophes ont utilisée depuis des millénaires pour accéder à la sagesse et à la connaissance de soi. Socrate disait d’ailleurs qu’une vie sans examen est une vie qui ne mérite pas d’être vécue…
Le prince écoutait attentivement. Il avait l’impression de faire une découverte à la fois banale et fondamentale. Le genre de chose qu’il avait l’impression de savoir mais à quoi il n’avait jamais porté véritablement attention.
Le crapaud sauta sur la commode et poursuivit.
– Comment veux-tu te réaliser si tu ne te connais pas ? Comment veux-tu que tes actions donnent un sens important à ta vie si tu ne sais pas ce que tu veux ? Comment veux-tu gagner de la confiance et de l’estime en toi-même si tu restes assis à te dire simplement que tu ne peux rien faire ?
Cette fois, les questions du crapaud commençaient à se frayer un chemin juste au-dessous de la couronne du prince, au centre de sa caboche.
Le prince avait maintenant l’intime conviction que ces questions étaient tout sauf banales.
Il commençait à comprendre pourquoi on surnommait le crapaud « le Sage ». Et sur ces sujets, le crapaud semblait intarissable:
– Pour apprendre à te connaître, tu dois donc commencer par te poser des questions. Et pas des questions qui mettent en doute tout ce que tu fais, mais plutôt des questions qui t’aident à prendre conscience de qui tu es vraiment. Ceux qui se connaissent et qui apprennent de leurs expériences, les véritables sages, sont ceux qui portent attention à chacune de leurs expériences et qui les utilisent pour apprendre de la vie.
Le crapaud fit une courte pause et reprit:
– Si tu ne sais pas ce qui est le plus important pour toi, tu peux commencer par prendre de nouvelles initiatives. L’action est un moyen privilégié pour nourrir ta vie d’expériences et de connaissances nouvelles. Ce n’est pas en restant dans le douillet confort de tes habitudes que tu trouveras une direction à ta vie ! C’est en forgeant que l’on devient forgeron, ce n’est qu’en vivant que l’on apprend à vivre.
– Et que dois-je faire de toutes ces actions ? s’enquit le prince. Il me semble que j’ai déjà vécu plusieurs expériences dans ma vie et elles ne m’ont rien appris de particulier.
– Les as-tu bien écoutées ? reprit le crapaud. Tes expériences ne sont pas vraiment les tiennes tant que tu ne les utilises pas. Ce ne sont pas de « vraies » expériences tant que tu n’as pas pris le temps de les examiner pour apprendre quelque chose de nouveau. Il s’agit donc d’utiliser tes expériences pour grandir et non pas les laisser te manipuler en multipliant les sombres pensées. Tu es le seul créateur de ta vie et tes expériences doivent te donner plus de possibilités, et non pas t’en retirer !
Le prince écoutait toujours le crapaud, confortablement installé dans un fauteuil rempli de coussins. Les paroles du batracien sonnaient comme une révélation.
Le prince commençait vraiment à apprécier toute la sagesse qui se cachait dans un si petit crapaud.
Il commençait à croire que cette grande âme l’aiderait à cheminer et il sentait une immense force à l’intérieur de ce petit bout de bestiole.
Cette réflexion mit le prince suffisamment en confiance pour le taquiner:
– Finalement, tu es plus intéressant que le bulletin télévisé !
– Fais le fanfaron tant que tu voudras ! lui répondit le crapaud sur un ton faussement sévère. Tant que tu n’oublies pas que ta vie te satisfera seulement lorsque tu décideras de la vivre vraiment. Et j’insiste sur le mot « décider ». Tu es responsable de ton destin. Si tu es malheureux maintenant, c’est parce que tes actions et tes décisions passées ne t’ont pas permis d’être heureux. Tu peux façonner la vie dont tu rêves ! Mais pour cela, tu dois te concentrer sur ce que tu peux changer aujourd’hui et prendre des initiatives au lieu de te morfondre à cœur de jour.
– Je me sens prisonnier de ma vie et je ne sais pas quoi faire. Mais si tu m’aides, je veux bien essayer de faire ce que tu dis, crapaud.
– Voilà qui sonne comme un chant mélodieux à mes oreilles ! Si tu le veux vraiment, tu peux veiller à ce que les événements que tu désires se produisent. Mais pour cela tu dois essayer, essayer et essayer encore ! Crois-tu que j’ai réussi à apprendre le mandarin du premier coup ?
Les yeux du prince étaient bouffis de sommeil.
Le crapaud décida donc d’abréger la leçon pour ce soir-là. Il sauta sur un coussin moelleux aux côtés du prince et s’endormit du sommeil du juste, ou plutôt du sommeil du sage.
* * *
Au petit matin, le chant du coq retentit. Le prince et le crapaud ouvrirent les yeux.
La nuit avait porté conseil, comme dit le proverbe. Et c’était le genre de conseil dont le prince avait besoin pour nourrir l’espoir et la motivation dans la nouvelle vie qu’il allait édifier de ses propres mains.
Ce dernier se leva donc et débuta ses ablutions matinales. En se brossant les dents, il eut une idée géniale.
– Che coi que che vèw… »
– Vides-toi donc la bouche espèce de grand coquin ! Pour l’instant tu imites davantage un mélangeur qui prépare un lait aux bananes.
Le prince se rinça la bouche.
– Aujourd’hui marque le départ vers ma nouvelle vie ! Mais qu’est-ce que je vais faire de toutes mes responsabilités princières ?
– Et en quoi consistent-elles, ces princières responsabilités ? demanda nonchalamment le sage quadrupède.
– D’abord, je dois faire la visite de l’écurie royale et faire une promenade, ce qui ouvre l’appétit. Ensuite, je vais déjeuner royalement, puis il y la séance de tir à l’arc, la séance de course automobile, la séance de portrait. Ensuite il y a la lecture des poèmes officiels de la cour, la coiffure du prince, la manucure du prince…
– Bon, bon, ça va, dit le crapaud avec humeur. Je constate que tout cela n’est pas une sinécure… Et pourquoi fais-tu cela chaque jour ?
– Eh bien, parce qu’on m’a dit que je devais le faire. Et cela dure depuis des années maintenant. On m’a toujours dit « Tu es un prince, tu dois faire ceci et cela, et encore ceci… »
– Et toi tu as toujours écouté à la lettre ce que les autres t’ont dit de faire ? Je comprends, c’est d’ailleurs ce que la plupart des gens font. Cela n’est pas négatif en soi, à part si notre vie ne nous plaît pas. Et c’est là que le bât blesse mon petit prince. Tu sais, bien des gens vivent des crises à un certain moment, simplement parce qu’ils ont suivi le courant sans se poser de questions. On ne peut pas toujours faire ce qui nous plaît, mais il faut au moins essayer de faire ce qui correspond vraiment à nos valeurs et à nos intérêts. Il est donc venu pour toi le temps de faire quelque chose… d’autre.
– Oui, je vois où tu veux en venir mon cher crapaud, enchaîna le prince. Je veux être moi-même, et je le peux ! Je n’ai jamais eu particulièrement envie de faire toutes ces simagrées de prince et d’administration du royaume. Je peux bien essayer de nouvelles activités !
– Voilà qui est parlé ! Bon. Mais tu ne sais pas vraiment ce qui donnerait un sens à ton existence. Alors pourquoi ne pas partir à la découverte de ce sens ? Tu sais, les personnes qui se sont le plus accompli l’ont essentiellement fait à travers l’action. Les actions permettent d’apprendre et de faire de nouvelles découvertes sur le monde et sur soi-même.
Le prince était devenu songeur.
– Il y a bien un horrible dragon qui terrorise le pays voisin. J’en ai entendu parler aux nouvelles télévisées. Personne n’ose s’approcher de sa caverne, même de loin. Tout le monde a peur et n’ose plus sortir le soir.
– Voilà une mission intéressante ! encouragea le crapaud.
– Tu crois que je pourrais combattre le dragon, lui voler son trésor et utiliser cette fortune pour faire le bien autour de moi ? s’enquit le prince.
– Pourquoi pas ? Ça ferait de toi un Robin des bois nouveau genre !
– Mais je suis nul pour me battre à l’épée. Et c’est encore pire avec une lance sur mon cheval blanc ! Je suis toujours le dernier dans les joutes et les tournois
– Et que fait-on quand on se donne un but ? demanda le crapaud qui, décidément, avait certains talents de pédagogue.
– On travaille à le réaliser, j’imagine ? risqua le prince.
– Oui, et nous planifions nos actions avec précision et nous travaillons sans relâche jusqu’à ce que nous ayons réussi ! Je vais t’aider à t’entraîner, dit le crapaud. Ne t’ai-je pas dit que je suis aussi une fine lame ?
Pour lire le chapitre suivant, c’est ici…
Valérie a écrit
Bonjour Nicolas,
Je suis la copie de ce Prince ! Je me suis toujours laissée vivre, toujours à dépendre de quelqu’un pour prendre des décisions, voyager, besoin qu’on me dise quoi faire quand j’étais en difficulté. Je ne me suis jamais interrogée car je ne pensais pas que je pourrais changer quoi que ce soit, je pensais que c’était ma vie, que j’étais comme ça, c’est tout. Maintenant je vois que j’avance en âge mais qu’au final j’ai rien vécu qu’une vie coincée et pleine de complexes. Je me suis dit l’an dernier (2016) après avoir subi des désagréables réflexions de gens que j’ai rencontré et qui ont eu vite fait de me juger, de m’occuper de ma santé et mon bien-être pour commencer. Pour le reste… Y a du boulot. Merci pour ce récit très inspirant Nicolas, comme tous tes autres écrits.
Amitiés
Valérie
Nicolas Sarrasin a écrit
Merci beaucoup Valérie de ton beau commentaire ! 🙂
Nicolas