Il se pourrait bien que la mise en marché des différents produits et services « normaux » change en profondeur lorsque les entrepreneurs commenceront à comprendre que leur ancien modèle (notamment de promotion et de distribution) n’est plus adapté à une partie croissante de la demande.
Un exemple éloquent est celui que l’éditeur de la revue Wired, Chris Anderson, présente dans son livre La Longue Traîne: Quand vendre moins, c’est vendre plus.
J’ai pris la liberté de vous en partager la traduction libre (je l’ai lu en anglais: The Long Tail: Why the Future of Business is Selling Less of More), aux pages 12 et 13:
En 1988, un alpiniste anglais du nom de Joe Simpson publia un livre intitulé Touching the Void, qui présentait une expérience tragique dans les Andes péruviennes.
Malgré de bonnes critiques, le succès de librairie resta modeste et le livre fut rapidement oublié. Mais un phénomène étrange se produisit une décennie plus tard. Le livre de Jon Krakauer Into Thin Air, présentant lui aussi une tragédie d’alpinisme, devint un véritable best-seller. Et soudainement, Touching the Void recommença à vendre des exemplaires.
Les libraires se mirent à vendre le livre juste à côté du nouveau best-seller sur leurs présentoirs et les ventes continuèrent à augmenter. La « résurrection » du livre Touching the Void fut telle qu’en 2004, il avait vendu deux fois plus d’exemplaires que le best-seller Into Thin Air. Que s’est-il passé ?
Du bouche à oreille virtuel.
Lorsque Into Thin Air parut en librairie, quelques lecteurs rédigèrent des commentaires sur Amazon.com en soulignant la similarité avec le livre moins connu Touching the Void, dont ils firent l’appréciation soutenue. D’autres clients purent lire ces commentaires et ajoutèrent le livre plus ancien à leur panier.
Les ordinateurs de la librairie virtuelle Amazon identifièrent rapidement une relation d’achat entre les deux livres et commencèrent à recommander automatiquement l’achat des livres en paire.
De plus en plus de clients suivirent cette recommandation et écrivirent des commentaires positifs sur la page du livre Touching the Void d’Amazon. Ce résultat provient d’une boucle de rétroaction entre les acheteurs et le système (grâce à la qualité du livre), ce qui permit de décupler ses ventes.
Mais qu’en est-il de la longue traîne de Chris Anderson ? Voici quelques éléments de cette théorie que j’ai envie de partager avec vous ainsi que quelques idées qui ont surgi de manière impromptue dans ce qui me sert de tête.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le concept de « longue traîne » (Long Tail), il s’agit d’une courbe de distribution de la popularité qui, sous la forme d’un graphique, organise les différents items (livres ou pistes de musique, par exemple) sur l’axe des X et leur popularité (nombre d’exemplaires vendus, par exemple) sur l’axe des Y. Cela donne quelque chose comme cela:
La culture du hit
La première constatation avec la longue traîne est la suivante: les modes de vente « normaux », qui impliquent des entrepôts, un réseau de distribution et des magasins qui ont pignon sur rue sont condamnés à offrir un éventail très limité des produits qui sont les plus vendus.
Les hits.
Par exemple, la section musique de Walmart n’offre que quelques centaines de titres dont plus de la moitié se retrouve dans des catégories populaires et offrent très peu de titres de niches de sujets qui sont moins populaires.
Ainsi, pour garder leur marge de bénéfice élevée, ces magasins ne présentent aux consommateurs que les titres qui se vendent le mieux.
En d’autres mots, parmi les millions de produits disponibles, ils n’offrent qu’un nombre très limité de titres: les plus populaires. Il faut bien rendre à César ce qui est à Brutus !
C’est aussi pourquoi ce mode conventionnel de distribution est particulièrement injuste: il met les produits en compétition les uns par rapport aux autres.
Dans ce contexte où les ressources sont limitées (espace d’entreposage dans le cas des magasins, temps d’antenne dans le cas des médias, etc.), plus un produit prend de l’importance et plus il empêche les autres d’être connus.
Ils existent les uns contre les autres.
Les livres se retrouvent en librairie pendant quelques mois s’ils se vendent bien mais disparaissent aussitôt si ce n’est pas le cas. J’en sais quelque chose, comme la plupart des auteurs.
C’est ce que j’ai observé récemment lorsque Biz, un membre des Loco Locass, a publié son roman Dérives.
Personnellement, je n’ai rien contre lui et je n’ai pas lu son livre, mais j’ai quand même pu constater qu’il a fait le tour des tribunes médiatiques.
Au lieu d’entendre toujours sensiblement la même chose, le même auteur, le même livre, n’aurait-il pas été plus intéressant de partager tout ce temps d’antenne entre plusieurs écrivains différents, histoire d’en faire connaître quelques-uns de plus qui se perdent dans la masse grouillante des inconnus?
Ils auraient sans doute eu, eux aussi, des choses intéressantes à partager.
Mais cela n’aurait malheureusement pas fait vendre autant de cote d’écoute.
C’est ainsi que la culture du hit ressemble étrangement à la maxime de la compagnie Hygrade: « Plus de gens en mangent parce qu’elles sont plus fraîches et elles sont plus fraîches parce que plus de gens en mangent »…
Les hits pourraient donc se résumer (partiellement) ainsi: plus les gens sont populaires et plus ils sont mis de l’avant, ce qui contribue à les faire connaître davantage, ce qui leur permet d’être plus populaires, et ainsi de suite.
Les éditeurs ne se cachent d’ailleurs pas de commencer à véritablement investir dans la promotion d’un livre lorsque celui-ci devient populaire, et non avant, ce qui n’est pas exactement à l’avantage des auteurs…
La longue traîne: une nouvelle courbe de distribution que permet l’Internet
Heureusement, depuis quelques années, l’Internet contribue à modifier les forces en présence. Sans éliminer les « hits », l’Internet réduit tellement les frais d’entreposage, de distribution et surtout de vente, qu’il donne accès à une TRÈS grande variété de produits.
C’est ce qu’illustre merveilleusement la compagnie Amazon.
D’abord libraire, le site d’Amazon donne accès à des millions de livres alors qu’une librairie ordinaire, même très grosse, peut difficilement proposer plus de 200 000 titres, et bonne chance pour les trouver sur les tablettes !
Ce que la longue traîne démontre, c’est qu’il est possible de faire beaucoup de profit en additionnant toutes les ventes peu nombreuses d’un très grand nombre de titres différents que l’internet permet de vendre sans engager de frais supplémentaires.
Finie la loi de Pareto, le fameux 80-20. Dans cette nouvelle économie, ce ne sont pas 20% des produits qui fournissent 80% des ventes, mais plutôt 50% des produits qui en fournissent souvent plus de 40%.
Autrement dit, même les titres aussi peu populaires que l’Archéologie de la médecine au Québec, mon premier livre, qui fait office de soporifique naturel et qui vend un exemplaire ou deux mal bon an mal an depuis 2002, permet à Amazon de faire du profit…
Un autre exemple est celui de mon ami Jean-Guy Olivier, négociant en timbres rares, qui a créé une entreprise grâce à ses connaissances sur les timbres internationaux, en arrimant littéralement l’offre à la demande.
Il achète des timbres dans un marché où ils sont peu valorisés et les revend à profit dans d’autres marchés qui les recherchent avidement.
Dans la nouvelle économie numérique, les produits ne sont pas en compétition entre eux puisque la place de l’un n’empiète pas sur la place d’un autre.
Mais comme le précise Chris Anderson, les hits ne sont pas près de disparaître pour autant et ils restent importants.
Ce sont souvent ces fameux hits qui conduisent d’abord les internautes à visiter un site.
Et ce sont les filtres, les différents modes de classement des produits (par popularité, genre, « ceux qui ont aimé ce produit aiment aussi », etc. et les commentaires des autres visiteurs) qui portent les clients de ces sites à creuser de plus en plus dans la masse des produits offerts.
Ils font ainsi d’improbables découvertes qu’aucun magasin qui a pignon sur rue n’aurait permis de réaliser.
Pour résumer, les hits sont la porte d’entrée et les filtres sont la glissoire qui permet de descendre le long de la longue traîne.
Les agrégateurs sur l’Internet et l’économie de niches
Nous voici arrivés au bout le plus intéressant selon moi.
Considérant toutes les informations que l’Internet contient, le travail de Google en est un d’agrégation. Le moteur de recherche met de l’ordre dans ce fouillis incalculable d’informations.
Or, Google est un agrégateur généraliste.
Je ne sais pas pour vous, mais quand vient le temps de magasiner un livre sur l’Internet, mon premier réflexe est de chercher non pas dans Google mais à partir des sites où j’achète habituellement mes livres, comme Amazon.
Ces sites sont également des agrégateurs d’informations, mais ils n’en réunissent qu’un nombre plus limité, comme les livres usagés d’Abebooks qui sont vendus par tous les petits libraires qui créent un compte sur cet immense catalogue.
De cette manière, les produits de niche ont tout à coup, grâce à l’Internet, accès à un fantastique marché.
Ça me fait penser à l’exemple du cordonnier qui habite près de chez moi.
Il a fermé son magasin et fait maintenant de meilleures affaires grâce à l’Internet.
Comment ?
Il s’est simplement spécialisé dans la réparation de bottes d’alpinisme.
Ces bottes coûtent cher et leurs propriétaires sont plus enclins à les faire réparer qu’à en acheter de nouvelles chaque fois.
Mais le nombre d’alpinistes dans mon quartier est sûrement encore plus restreint que celui des pompiers, et même si tous les alpinistes de Montréal allaient faire réparer leurs bottes chez lui, je doute fort qu’il arriverait à en vivre.
Mais puisqu’il a désormais accès au monde entier grâce à l’Internet, et que très peu de cordonniers ont eu la même idée que lui (j’espère qu’il ne m’en voudra pas de la divulguer ici impunément), il occupe maintenant une niche de marché très rentable.
Les clients lui expédient les bottes où qu’ils soient, et il leur renvoie une fois réparées.
Cela lui a aussi permis de réduire substantiellement les frais d’exploitation de son commerce.
Il n’a plus à payer pour garder ouverts son magasin et sa cordonnerie et il s’est installé dans son sous-sol (ce qui est par contre moins stratégique en regard des odeurs de pieds qu’exhalent les bottes).
Alors, puisque les marchés continuent de se différencier en nous offrant toujours plus de variété pour un même produit, nous nous engageons de plus en plus dans une économie de niches où il est désormais possible d’offrir plus de 500 sortes de râpes à fromage… et d’en vendre.
Mais puisque la variété des produits disponibles sur l’Internet continue à augmenter, une large part de ces produits n’est encore identifiable qu’à travers les moteurs de recherche généralistes.
Comme je l’explique dans un autre article, vous pouvez même appliquer ce fonctionnement de la longue traîne à la création d’un blog.
La solution, et une partie de l’avenir de la longue traîne
Alors, quelle est la solution à cette multitude de produits qui restent difficiles d’accès ? Tous ces produits gagneraient à être fédérés à travers différents agrégateurs qui se spécialiseraient chacun dans une niche particulière.
Par exemple, depuis quelques décennies, le marché a vu se développer un grand nombre de microbrasseries, et les sortes de bières offertes sont à l’avenant.
Même s’il est possible de trouver les différents sites de microbrasseurs sur l’Internet, il reste difficile à un amateur de bières artisanales d’avoir un portrait d’ensemble de ce qui existe et d’obtenir des conditions commodes d’achat de ces différents produits. Cherchez le mot « microbrasserie » pour voir. M.À.J.: Depuis que j’ai écrit ce billet, au moins deux sites sont apparus pour fédérer les microbrasseries et leurs bières (bieresduquebec.ca et ambq.ca). Bon boulot !
Un site qui fédère les microbrasseries aide à vendre leurs produits. D’une part, il aide d’abord les internautes à les trouver à partir des bières artisanales les plus populaires (les hits).
D’autre part, il aide les raffinés buveurs à découvrir de nouveaux goûts pour faire frétiller leurs papilles grâce à ses différents filtres de recherche.
L’avenir est donc à la multiplication des sites qui agrégeront des produits de différentes niches et permettront d’exploiter à plein le phénomène de la longue traîne.
L’idée n’est donc pas de battre Google sur son propre terrain mais de prendre conscience de la multitude d’opportunités qui vous pendent sous le nez.
Il ne manque qu’une chose. Pour diminuer encore les barrières à l’entrée et permettre à cette tendance d’exploser, littéralement, il faudrait qu’une grosse compagnie Internet se mette à offrir sous forme de services des ressources en matière de serveurs et d’interface web de e-commerce qui permettraient à n’importe qui, pour une modeste commission par exemple, d’offrir sur l’Internet des produits de niches en les agrégeant facilement.
C’est ce qu’Amazon fait déjà en partie avec son programme Marketplace ainsi qu’Alibaba, mais ce n’est pas encore si simple.
C’est, pour ainsi dire, la longue traîne au service de la longue traîne.
Vous pouvez donc profiter de la richesse des marchés de niches pour vendre des produits et des services sur Internet. Que pensez-vous de tout ça ? Comptez-vous vous aussi profiter de ces opportunités ?
Waoo a écrit
Bonjour,
Merci pour cet article intéressant. La longue traîne est un concept essentiel pour le référencement aussi surtout pour la rédaction des articles.
Meilleures salutations,