Compte-rendu de ma conférence intitulée «Comprendre et dépasser les limites de nos processus mentaux» donnée aux Sceptiques du Québec en 2005. Un grand merci à Anne-Sophie Charest qui a rédigé ce compte-rendu !
Nicolas Sarrasin remercie d’entrée de jeu les Sceptiques du Québec de lui permettre de partager ses connaissances sur un sujet qui l’intéresse, soit l’esprit critique et son substrat cognitif. Il souligne que le contenu de cette conférence constitue une partie du livre qu’il vient d’écrire: Petit traité antidéprime. Ce soir, Nicolas Sarrasin explorera avec nous la manière dont le cerveau a, à travers l’évolution, développé des processus qui nous permettent d’évoluer dans l’environnement de façon généralement adaptée, bien qu’ils peuvent parfois nous jouer des tours. Il expliquera aussi comment il est possible d’exercer un contrôle sur ces processus une fois que l’on a pris conscience de leur existence.
Notre cerveau
La survie d’une espèce est sujette au mécanisme de l’évolution, un processus arbitraire par lequel seuls les individus les mieux adaptés survivent. Le succès de l’être humain est lié à son intelligence, qui lui a permis de créer des outils pour transcender ses limites biologiques. Toutefois, précise le conférencier, bien que notre cerveau nous ait permis de survivre jusqu’ici, nul ne sait si nous serons assez intelligents pour survivre encore longtemps.
La compréhension de notre cerveau a grandement évolué au cours de la deuxième moitié du 20e siècle avec le développement des sciences cognitives. Celles-ci comprennent des disciplines telles que l’anthropologie, la philosophie de l’esprit, la psychologie cognitive, les neurosciences et certaines spécialités de l’informatique, notamment le domaine de l’intelligence artificielle, qui tente de reproduire certains processus cognitifs. On peut diviser les sciences cognitives en deux grands types selon le point de vue qu’elles adoptent face au cerveau. D’un côté, la neurologie s’intéresse plus au « hardware » du cerveau, aux mécanismes physiques qui régissent son fonctionnement. De l’autre, la psychologie cognitive étudie davantage le côté « logiciel » du cerveau, c’est-à-dire la manière dont il produit des résultats. Ainsi, alors que les behavioristes percevaient le cerveau comme une boîte noire produisant des réponses à partir de stimuli et le croyaient impossible à étudier pour une question de rigueur scientifique (argument tout à fait valable à l’époque), les sciences cognitives nous permettent aujourd’hui d’étudier son fonctionnement de façon scientifique.
Le conférencier résume ainsi le processus de fonctionnement du cerveau: les stimuli de l’environnement sont perçus par le corps, puis traités par notre cerveau, et celui-ci produit ensuite des réponses non arbitraires, puisqu’elles sont influencées par nos apprentissages préalables. Les processus qui prennent place dans le cerveau peuvent être divisés en deux catégories: les processus inférieurs, inconscients pour la plupart, comme l’attention et la reconnaissance, et les processus supérieurs, tels que le raisonnement, le langage et la conscience. Ce sont ces derniers types de processus qui intéressent particulièrement M. Sarrasin. On peut aussi parler de processus ascendants, dans la mesure où l’information sur l’environnement « monte » jusqu’au cerveau, et de processus descendants à partir du moment où le cerveau, traitant l’information, maximise la réponse comportementale aux stimuli de l’environnement.
Importance de la mémoire
La mémoire est formée de réseaux parallèles de neurones, et le cerveau effectue plusieurs types de traitements selon le lobe qui est activé. Ainsi, c’est le lobe occipital qui est le siège de la vision, mais le lobe frontal s’active également si on prend conscience de ce que l’on voit et l’aire de Broca s’active quant à elle si on nomme l’objet observé (langage).
Sarrasin souligne que la mémoire joue un rôle extrêmement important parmi les processus cognitifs. Chacun d’entre nous a probablement déjà expérimenté des troubles de la mémoire, tel que le mot sur le bout de la langue, et donc comprend l’importance du stockage des informations. Dans son livre Seven Sins of Memory, Daniel Schacter présente sept biais naturels de la mémoire. Il raconte entre autres l’anecdote d’un violoniste qui, après un concert, a oublié son Stradivarius sur le toit d’un taxi, pour ne le retrouver qu’un an plus tard ; un exemple flagrant de manque d’attention. Schacter aborde aussi le problème du mélange de souvenirs, problème qui peut porter préjudice à un individu jugé à la cour de justice sur la base de témoignages.
La catégorisation
Le processus cognitif de base est celui de la catégorisation. On catégorise tous, tout le temps et partout, sans nécessairement s’en rendre compte. C’est une manière extrêmement économique et efficace développée par le cerveau pour retenir et associer des unités d’information entre elles, aussi appelées unités de sens. La catégorisation utilise les propriétés des éléments (rouge, par exemple, peut être la propriété d’une chemise) pour les classifier. Ainsi, à l’épicerie, on retrouve une classification des éléments selon leurs relations sémantiques ; les fruits sont à un endroit, les légumes à un autre. Sarrasin souligne que ces catégories n’existent pas a priori, mais sont des construits du cerveau.
La catégorisation élabore des représentations, ou concepts, qui sont des associations de plusieurs propriétés (unités de sens). Ainsi, on définit un chien comme un mammifère possédant quatre pattes et qui aboie, la propriété d’être un mammifère étant elle-même une association de plusieurs autres propriétés. Les concepts créés par catégorisation sont économiques et efficaces car leurs connexions permettent d’avoir accès facilement à un ensemble d’informations utiles, ce qui nous permet par la suite d’apprendre.
Sarrasin mentionne les résultats d’une expérience des années 70 qui conclut que l’on reconnaît plus rapidement des mots sémantiquement reliés. Ainsi, bien qu’elle se mesure en millisecondes, une différence est visible entre la reconnaissance des mots dans les expressions table-chaise et table-train. Cela prenait plus de temps aux sujets pour lire le mot « train » qui n’était pas directement associé au mot « table » au niveau du sens.
Les inférences
L’organisation des concepts en catégories est ce qui permet le raisonnement, ou inférences, qui permettent d’obtenir de nouvelles connaissances à partir de celles dont on dispose. Deux exemples bien connus d’inférences sont la déduction et l’induction, qui dépendent tous deux de l’organisation en réseaux des neurones dans le cerveau.
L’induction consiste à induire des règles générales à partir d’un ensemble d’éléments discrets. Sarrasin nous met toutefois en garde: ce type d’inférence ne permet jamais d’obtenir une conclusion absolument valide. Ainsi, pour conclure que tous les corbeaux sont noirs, il faudrait pouvoir tous les attraper un par un et vérifier leur couleur.
La déduction, dont il existe plusieurs variantes, arrive quant à elle, à partir de certaines prémisses, à obtenir des conclusions vraies, en autant que les prémisses soient vraies. La déduction fonctionne par sous-catégorisation, c’est-à-dire qu’elle met les catégories en relation les unes par rapport aux autres. Par exemple, explique le conférencier, à partir des deux prémisses «Le nez fait partie du visage.» et «Le visage fait partie de la tête.», on peut déduire que le nez fait partie de la tête. On voit ici très bien les trois catégories (nez, tête, visage) mises en relation afin de dériver la conclusion de la déduction. Sarrasin souligne que les inférences du type déductif sont très importantes si on se préoccupe de la validité de nos résultats.
L’interprétation
L’interprétation fait appel à un ensemble de processus cognitifs ayant lieu de façon presque simultanée, comme la reconnaissance et le raisonnement, ainsi qu’à nos connaissances antérieures. Le conférencier cite la définition de l’interprétation du chercheur Costermans: « […] opérations par lesquelles l’individu, au départ de l’information sensorielle, élabore des “représentations” et effectue des transformations sur ces représentations, pour finalement les utiliser dans la mise en place de ses comportements […] ». L’interprétation permet donc de transformer des stimuli sous une forme cohérente en faisant appel à nos connaissances.
Le processus de l’interprétation se produit en quatre étapes distinctes. Premièrement, on perçoit des informations et on tente de les comprendre. Sarrasin souligne que ce désir de comprendre ce que l’on perçoit est partagé par tous les êtres humains et est lié à notre survie. Deuxièmement, il y a constitution d’un espace de réflexion. L’espace de réflexion est l’ensemble des informations que l’on va chercher en mémoire pour résoudre un problème. Le conférencier souligne que le contenu de l’espace de réflexion influence grandement nos résultats. Par exemple, on a demandé à des volontaires de relier les neuf points ci-dessous à l’aide de quatre traits et sans lever le crayon. La plupart des gens n’ont pas réussi, car ils ont essayé de le faire tout en restant à l’intérieur du carré.
Cet exemple montre que si l’on ajoute des contraintes supplémentaires non désirées, dans ce cas-ci ne pas sortir du carré, cela peur nous empêcher complètement de résoudre le problème. Le conférencier souligne que le même genre de problème se produit aussi dans notre vie personnelle. Ainsi, plusieurs couples se séparent en croyant avoir tout essayé alors que c’est faux. Troisièmement, après s’être constitué un espace de réflexion, on compare les nouvelles informations avec celles dont on dispose en mémoire. Quatrièmement, on arrive à une conclusion, idéalement appropriée. Malheureusement, affirme Sarrasin, trop souvent nos conclusions sont trop rapides, et elles sont parfois carrément inappropriées.
Les croyances
Nicolas Sarrasin définit une croyance comme une connaissance sur le monde que l’on juge vraie. Nos croyances nous permettent de comprendre, de prévoir, de choisir, d’agir et ont une incidence sur notre évaluation des événements. Il souligne qu’il est important de reconnaître que nous ne faisons pas que recevoir les nouvelles informations, nous agissons sur celles-ci car l’interprétation forge nos croyances en tenant compte de nos apprentissages antérieurs.
Le conférencier rappelle également que le processus d’interprétation n’est pas totalement rationnel. Beaucoup d’autres éléments entrent en ligne de compte pour définir nos croyances, tels que nos attentes et nos émotions. Ainsi, on est porté à interpréter les informations pour corroborer nos attentes et une personne émotionnellement chargée réagit différemment face au même événement que si elle ne l’était pas. La compréhension de ces facteurs (et de plusieurs autres) nous permet de voir comment procède l’interprétation, ce qui est très important puisque c’est elle qui forge nos croyances et que nos croyances modifient à leur tour nos comportements.
Jugements et croyances
Herbert Simon, un chercheur multidisciplinaire et pionnier des sciences cognitives, s’intéressait au traitement de l’information dans les organisations. Son hypothèse était que notre rationalité est limitée, notre cerveau ayant développé certaines limites à travers l’évolution. Par la suite, d’autres chercheurs ont étudié justement pourquoi l’être humain ne raisonne pas selon les lois des statistiques, ni ne suit la logique dite mathématique, mais se fie plutôt à la plausibilité des choses et aux connaissances qu’il en a. Par exemple, le livre Judgement under Uncertainty Heuristics and biases, de Daniel Kahneman et ses collègues, présente une description des phénomènes qu’ils ont observés à travers deux heuristiques qui favorisent l’interprétation. Sarrasin précise qu’une heuristique est un ensemble de moyens économiques utilisés par le cerveau pour comprendre une information. D’abord, il y a l’heuristique de disponibilité, c’est-à-dire qu’on évalue la probabilité d’un phénomène selon le nombre de cas similaires dont on se souvient. Par exemple, ceux qui croient que la pleine Lune augmente le nombre d’accouchement retiennent majoritairement les informations favorables à cette hypothèse. Aussi, il y a l’heuristique de représentativité selon laquelle on accorde une probabilité plus élevée à une information qui est représentative de la catégorie à laquelle elle appartient.
«Linda a 31 ans. Célibataire, franche et très intelligente, elle a étudié la philosophie à l’université. Pendant ses études, elle s’est beaucoup intéressée aux problèmes de discrimination et de justice sociale et elle a également participé à des manifestations contre l’usage de l’énergie nucléaire.» (Kahneman et al., cité dans le livre de Sarrasin)
Les chercheurs ont ensuite demandé aux volontaires lequel des deux énoncés était le plus plausible:
a) Linda est caissière dans une banque.
b) Linda est caissière dans une banque et est active dans un mouvement féministe.
En outre, une recherche publiée en 2001 et utilisant l’imagerie cérébrale concluait que souvent, lors de raisonnements moraux, c’est le système limbique (la partie du cerveau qui traite les émotions) qui est la plus active. Ainsi, on n’est pas toujours si rationnel, même quand on veut bien le croire…
Limites des processus cognitifs: les distorsions cognitives
Une distorsion cognitive est une croyance irréaliste qui suscite des émotions et des pensées négatives qui nous rendent inadaptés (au sens large). Par exemple, explique Sarrasin, si avant de donner sa conférence il s’était dit que nous allions tous détester sa présentation, cela aurait influencé sa physiologie et ses émotions de façon négative. Les distorsions cognitives amènent de fausses croyances, et celles-ci ont une influence sur la vie de tous les jours. Il présente quelques distorsions cognitives fréquentes.
La sélection d’informations
La sélection d’informations, soit le fait que l’on se concentre sur certaines informations plutôt que d’autres, est souvent utile. Par exemple pour comprendre quelque chose de nouveau il faut porter notre attention sur certains détails à la fois. Toutefois, cette sélection a parfois des effets négatifs, la sélection d’information pouvant nous confiner à une vision partielle de la réalité. Sarrasin, citant son livre, explique que « Ce mécanisme est particulièrement néfaste parce qu’il finit par nous faire croire que notre bonheur dépend de ce que nous ne possédons pas. Nous oublions vite d’apprécier tout ce qui nous rend véritablement heureux. L’élaboration de nos idéaux passe ainsi par la recherche d’éléments positifs mais souvent fictifs que nous avons envie de vivre et qui, en comparaison, font paraître le quotidien peu attrayant. Le glissement vers cette distorsion cognitive », ajoute-t-il, « s’opère progressivement. On commence par amplifier quelques aspects désagréables d’une situation, de manière à oublier complètement ses côtés attrayants. On peut aussi interpréter soigneusement les éléments neutres d’une situation jusqu’à les rendre totalement négatifs. On élabore habituellement la sélection des informations négatives à travers une forme de rumination mentale qui dénature certains détails ou événements anodins jusqu’à les rendre désagréables. »
La prédiction qui se réalise d’elle-même (ou Self fulfilling prophecy)
Les prédictions qui se réalisent d’elles-mêmes sont des croyances qui semblent se confirmer tellement une personne y porte attention et y croit fermement. Par exemple, en 1968, Robert Rosenthal et Lenore Jacobson ont fait une expérience sur des professeurs à qui ils avaient annoncé que les QI de leurs élèves augmenteraient au cours de l’année. Ils ont par la suite remarqué que les professeurs avaient, probablement inconsciemment, augmenté les notes de leurs élèves au cours de l’année. De même, quelqu’un qui croit que les autres vont le rejeter agit souvent sans s’en rendre compte de façon à ce que les autres le rejettent effectivement.
La généralisation
Généraliser consiste à établir une loi universelle à partir de quelques éléments seulement et ce processus est souvent avantageux au niveau de la survie. Ainsi, on n’a qu’à se brûler une seule fois pour savoir que le feu brûle. Mais la généralisation peut aussi être dangereuse, car nos conclusions ont des chances de ne pas être valides. Dans notre vie personnelle, il nous arrive parfois de généraliser le sens que l’on donne aux comportements des autres, par exemple en se disant face à la colère d’autrui que l’autre agit toujours de la même façon. Les conséquences négatives de la généralisation sont le manque de validité des croyances qui en découlent, des conclusions trop hâtives, et éventuellement, de l’agressivité.
Le faux rapport de cause à effet
Sarrasin mentionne que « nous avons une tendance naturelle à interpréter les événements en les regroupant par catégories ou par séquences et à croire à leurs relations entre eux même lorsque cette relation est purement illusoire. » Cette idée est illustrée par l’anecdote suivante: Deux personnes prennent le train pour la première fois et rencontrent un étranger qui leur propose de goûter à une banane, fruit qu’ils ne connaissent pas encore. L’homme prend une première bouchée juste au moment ou le train entre dans un tunnel, et crie tout de suite à sa femme: N’en mange pas, ça rend aveugle.
Favoriser la validité
Sarrasin souligne que, tout comme on se préoccupe de l’essence que l’on met dans notre auto, ainsi que du type de nourriture que l’on mange, il est essentiel de se préoccuper des croyances qui sont à la base de nos comportements.
Un exemple un peu dramatique d’un sens critique absent se trouve dans le livre How we Know what isn’t so de Thomas Gilovich. On y présente l’histoire d’un père qui a tué sans le vouloir sa fille atteinte d’une maladie incurable en lui faisant suivre une cure de jus de fruits. Un autre exemple de l’effet de fausses croyances, c’est la méprise du joueur compulsif, c’est-à-dire que le joueur croit que l’équilibre « économique » entre lui et la machine finira par se rétablir tôt ou tard, alors que cela n’est statistiquement vrai que pour de très grands nombres d’essais successifs. Citant Kahneman dans une publication de 1982, il ajoute qu’« au lieu de voir le hasard s’exprimer à chaque coup, comme dans le cas de la chance sur deux avec la pièce de monnaie, ce dernier est perçu comme un processus qui se « corrige » de lui-même, qui rétablit l’équilibre entre les couleurs. [dans le cas de la roulette] »
Le critère de démarcation de Sarrasin entre une fausse et une vraie croyance est sa validité. Bien sur, on ne possède pas de manière de garantir la validité d’une information à 100%, mais certains critères nous permettent de nous en approcher.
Dans cette optique, il est souvent souhaitable d’avoir une attitude de doute, de scepticisme. La méthode scientifique est probablement la méthode la moins mauvaise dont on dispose face à l’absolu pour augmenter la validité de nos croyances, car la science est basée sur un ensemble de critères qui favorisent la validité. Ces critères sont l’empirisme, la reproductibilité (être capable de reproduire la compréhension d’un phénomène), la critique par les pairs, et le critère de falsifiabilité de Popper. Ce dernier critère a été ajouté par Karl Popper quand il a remarqué qu’Alfred Adler, qui étudiait alors la notion de complexe d’infériorité, tentait constamment de valider ses interprétations en fonction de ses hypothèses. Ainsi, il devenait impossible de falsifier sa théorie. Ce « stratagème immunisateur » est utilisé fréquemment par certains croyants qui affirment, peut importe si leur prière est exaucée ou non, que c’est la volonté de Dieu. En aucun cas, réussite ou échec de la prière, l’existence de Dieu n’est remise en question. Elle devient donc infalsifiable. Le terme « infalsifiable » est utilisé ici dans le sens de « que l’on ne peut rendre faux », et pourrait être remplacé par réfutable.
Personnellement, on peut favoriser la validité de nos croyances en portant attention à trois éléments particuliers:
1. La quantité d’informations
Le conférencier admet qu’on ne peut pas toujours être des scientifiques dans la vie de tous les jours. Toutefois, il souligne que beaucoup d’informations, et des informations variées, favorisent la validité de nos croyances.
2. La qualité des informations
Sarrasin met l’accent sur l’importance de s’assurer que nos informations soient pertinentes, liées au sujet de nos conclusions.
3. L’utilisation des informations
Il faut aussi évidemment s’assurer qu’on ne fait pas de distorsions cognitives, comme la sélection, ou la généralisation, lors du traitement des informations.
Auto-validation des croyances
L’auto-validation des croyances est une distorsion courante qui passe par la sélection des informations. Une recherche récente de Hergovich a présenté un présumé medium à 91 personnes, dont certains croyaient au surnaturel, et d’autres pas. Suite à une démonstration du médium, ceux qui croyaient au surnaturel ont été impressionnés, ont cru aux démonstrations et ont ignoré la possibilité d’un canular, contrairement à ceux de l’autre groupe. Hergovich conclut que: «Les personnes qui croient au surnaturel, en comparaison aux sceptiques, tendaient à voir les démonstrations comme des exemples de phénomènes paranormaux sans égard aux informations qu’elles recevaient.» L’auto-validation des croyances explique aussi pourquoi certaines personnes croient à une relation de cause à effet entre la Lune et d’autres variables, telles le nombre de naissances, la pousse des cheveux et le nombre d’appels d’urgence (911). Cet effet est si fort que parfois, même si les chiffres leur montrent qu’elles ont tort, ces personnes continuent d’y croire.
Le conférencier ajoute que c’est effectivement une caractéristique humaine que de résister longtemps à nos croyances, comme en témoigne une expérience de Wright effectuée en 1960. Le chercheur a des volontaires utiliser un grand tableau plein de boutons et de manivelles et muni d’une sonnerie activée par une minuterie à intervalles de plus en plus rapprochés. Lorsque les volontaires étaient convaincus d’avoir découvert la suite d’actions à utiliser pour faire retentir la sonnerie, il leur expliquait que la sonnerie n’était pas reliée au tableau, mais à une minuterie préprogrammée. Les volontaires avaient toutefois beaucoup de difficulté à accepter cette information, car ils avaient développé un ensemble de croyances sur la façon de faire retentir la sonnerie.
Un peu d’astrologie…
L’astrologie survit depuis longtemps entre autres parce que la relation entre les planètes et le destin est irréfutable. Les astrologues font aussi le sophisme d’appel à l’autorité, c’est-à-dire qu’ils défendent leurs affirmations sur la base qu’on ne peut pas se tromper durant 5000 ans. Pourtant, affirme le conférencier, il est tout à fait possible d’avoir tort durant des millénaires quand on reproduit la même erreur. Un autre aspect qui favorise le développement de l’astrologie, c’est le fait que tout le monde se reconnaît dans un texte astrologique, comme celui-ci composé par le conférencier:
Il semble parfois que votre vie ressemble à une montagne difficile à escalader, mais la plupart du temps vous ressentez toute l’énergie nécessaire pour relever les nouveaux défis. Autour de vous, vos amis proches vous donnent le réconfort lorsque vous en avez besoin. À certains moments, vous manquez de confiance mais votre tempérament combatif vous fait affronter l’avenir avec optimisme.
Une expérience assez étonnante du Dr. Persinger effectuée en 2001 a réussi à induire une impression de décorporation chez certaines personnes à l’aide d’un champ magnétique induit sur le lobe temporal droit. L’hypothèse avancée par le chercheur pour expliquer cet effet est que le cerveau ne peut procéder à l’intégration sensorielle à ce moment à cause du champ magnétique, d’où l’impression de décorporation.
Comment la compréhension des processus cognitifs peut-elle influencer notre vie ?
Des émotions négatives peuvent être causées par des distorsions cognitives. Ainsi, la culpabilité, ou le sentiment de responsabilité face à un événement, peut venir d’un faux rapport de cause à effet.
Ainsi qu’un grand cuisinier qui a développé une expertise n’a plus besoin de recette pour agir sur les ingrédients et qu’un mécanicien peut diagnostiquer les problèmes d’une automobile grâce à sa connaissance de son fonctionnement, notre compréhension de nos processus cognitifs nous permet de déceler leurs lacunes. On peut ainsi agir sur nous-mêmes, dans une perspective globale de bien-être, qu’on peut comparer à un bonheur sceptique.
Le cerveau est le substrat de l’esprit critique, de la conscience. La métacognition, dont le nom indique qu’elle est au-dessus de la cognition, est en fait un processus cognitif qui peut agir sur nos processus cognitifs. Il s’agit d’une prise de conscience face aux stimuli, à nos manières d’interpréter, qui nous permet, si on y porte attention, de modifier nos interprétations. La métacognition n’est développée que chez les êtres humains, et un peu chez les mammifères supérieurs, car l’on raisonne surtout à travers le langage et les concepts linguistiques.
Les concepts sont un ensemble d’informations très complexe. Les mots permettent de les décrire de façon abstraite, mais ne sont pas limités au lexique. Le langage met des « étiquettes » sur nos connaissances, mais les mots ne forment pas la totalité de ces connaissances. Autrement dit, le langage permet d’expliciter une certaine partie de nos connaissances du monde (pour des informations étoffées sur cette question, consultez le livre The Big Book of Concepts de Gregory L. Murphy).
Les étapes de l’utilisation de la métacognition:
1. Identification
Puisque nous sommes tous humains, il est certain que nous faisons tous des distorsions cognitives. Il faut d’abord identifier nos distorsions cognitives, et identifier le contexte dans lequel on les fait, ainsi que leur intensité et leur influence sur nos émotions.
2. Exercice du doute
Il faut par la suite s’adonner à l’exercice du doute, c’est-à-dire remettre en question nos interprétations, enrichir notre espace de réflexion et réviser nos conclusions souvent trop rapides ou fondées sur un nombre insuffisant d’informations.
3. Retour sur cet exercice
Cette dernière étape n’est pas toujours nécessaire, mais réfléchir au processus et au résultat nous permet de se souvenir qu’on a réussi à diminuer l’influence négative de nos distorsions cognitives. Cela s’avère très utile pour les enfants ou les gens qui n’ont pas l’habitude d’utiliser leur esprit critique.
Conclusion
En conclusion, l’esprit critique est extrêmement utile. Les personnes plus critiques sont plus ouvertes, s’adaptent plus facilement aux nouvelles situations, et ont un contexte de vie plus agréable. La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de s’éduquer à l’esprit critique. Dans cette optique, le projet « la philosophie à l’école » a même été développé aussi tôt qu’au primaire par un professeur de philosophie de l’Université Laval.
Selon Sarrasin, l’esprit critique nous aide ainsi à nous réaliser en tant que personne. En somme, on peut être à la fois sceptique et heureux. Mais, comme le disait Jean Rostand: « Avoir l’esprit ouvert ne signifie pas l’avoir béant à toutes les sottises. »
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