La liberté ne consiste pas seulement à suivre sa propre volonté, mais aussi parfois à la fuir. (Abe Kobo)
Si vous avez lu à mon article précédent, voici venu le temps de vous offrir la suite.
Je vous présenterai ici comment vous pouvez tirer parti du fonctionnement de vos processus mentaux pour optimiser les effets bénéfiques que le recadrage aura sur vous et votre bonheur !
Vous le savez, tout comme les distorsions cognitives, le recadrage provient du travail de vos processus cognitifs. Pour mieux utiliser ce fantastique outil, je vais maintenant approfondir plusieurs des aspects qui l’aident à fonctionner efficacement.
Bien disposer du carré de sable que notre cerveau utilise pour réfléchir…
Pour utiliser le recadrage, nous devons d’abord nous attarder aux informations qui composent nos croyances.
L’espace de réflexion, que je vous ai présenté au début, constitue la première étape, celle de la cueillette d’informations à partir desquelles nous pensons.
Sans ces informations, nous ne pourrions pas régler un problème ni comprendre ou évaluer une situation.
Voyons comment un mauvais espace de réflexion mène à une conclusion erronée.
Dans une recherche, Stevens et Coupe1 ont demandé à plusieurs personnes de déterminer si c’était Montréal ou Seattle qui était la ville située le plus au nord.
La réponse a majoritairement été « Montréal », ce qui est faux.
Les gens ont fréquemment commis cette erreur à cause du raisonnement suivant: Le Canada se trouve au nord des États-Unis; Montréal est une ville canadienne et Seattle, une ville américaine; donc Montréal est au nord de Seattle.
Même si les prémisses du raisonnement sont vraies (le Canada se trouve au nord des États-Unis), cet espace de réflexion n’est pas valide pour répondre à la question.
Les ensembles « pays » (Canada et États-Unis) et les sous-ensembles « villes » (Montréal et Seattle) qui composent cet espace ne tiennent tout simplement pas compte de la géographie de la frontière entre les deux pays !
Cet exemple montre à quel point il est facile de mal identifier les informations véritablement pertinentes pour interpréter une situation ou résoudre un problème.
Voici un exemple de la vie courante.
Si vous pensez que Simone (remplacez ce prénom par celui de votre choix) ne vous aime pas, vous risquez d’interpréter ses paroles comme des marques de dédain ou de méchanceté à votre endroit.
Il se peut que Simone ne vous aime pas pour vrai.
Mais si la conclusion « Simone ne m’aime pas » qui forme votre espace de réflexion pour interpréter ses paroles et son comportement n’est pas fondée sur des informations valides, mais plutôt sur des malentendus ou sur une seule situation, votre conclusion (« Simone ne m’aime pas ») pourra être absolument fausse.
Pour éviter que de tels problèmes ne viennent empoisonner votre vie et vos relations, vous pouvez assurer la validité de vos espaces de réflexion en soulevant deux questions:
Les informations que je sélectionne sont-elles suffisamment nombreuses ?
Ces informations sont-elles pertinentes ?
En d’autres mots, concernent-elles véritablement le sujet du raisonnement (ou de l’interprétation) ?
Ces questions font appel au recadrage.
Elles vous permettent de vous concentrer directement sur vos espaces de réflexion en vous assurant qu’ils ne sont pas trop restrictifs (première question) et qu’ils sont appropriés pour résoudre le problème (deuxième question).
Par exemple, si une personne en rencontre une autre pour la première fois et la trouve peu chaleureuse, son espace de réflexion sera très limité.
Si elle se contente de cette première impression pour percevoir négativement la personne, ses conclusions seront probablement invalides.
De nombreuses autres raisons, la timidité ou la fatigue par exemple, peuvent aussi expliquer cette froideur.
C’est ce qui a pu se produire dans mon exemple avec Simone ci-dessus.
Tout événement mérite plus d’attention qu’une simple impression !
Le fait de baser nos croyances et nos comportements sur si peu n’est pas seulement simpliste; cela nuit également à notre bien-être en nous poussant à agir sur la foi d’informations insuffisantes ou impertinentes.
Nous trouvons parfois les autres ridicules lorsqu’ils jugent trop rapidement ou croient trop facilement en quelque chose.
Mais cela ne nous arrive-t-il pas souvent, à nous aussi ?
Et ces jugements hâtifs nous rendent souvent malheureux.
Si nos processus cognitifs sont très utiles pour formuler des hypothèses et proposer des explications, ils ne garantissent pas pour autant la validité de leurs conclusions.
À partir du moment où nous manquons d’informations, nous n’interprétons que de manière très générale ou complètement inappropriée.
Le recadrage de notre espace de réflexion contribue à trouver de nouvelles informations, une excellente méthode pour comprendre avec plus de justesse !
Par exemple, essayez d’apprendre par vous-mêmes à conduire une voiture.
À la différence, suivre des cours permettra un transfert privilégié d’informations.
Ce « raccourci » vous fera gagner du temps et minimisera surtout les possibilités d’erreurs qui pourraient vous coûter la vie… ou celle des autres.
Laisser notre cerveau jouer dans le bon carré de sable…
Le contenu de l’espace de réflexion a aussi d’autres limites.
Ce contenu correspond à la manière dont nos neurones sont activés pour représenter et comprendre le monde qui nous entoure.
Ainsi, selon nos expériences passées, nous résolvons facilement les problèmes qui correspondent à nos connaissances si elles sont correctement sollicitées.
Autrement dit, nous possédons parfois les connaissances requises pour résoudre un problème mais notre cerveau ne les active pas !
Nous avons donc tout avantage à rechercher plus d’informations, ne serait-ce que pour profiter de nos propres connaissances !
Le fonctionnement de la mémoire illustre bien ce phénomène.
Imaginez un couple qui converse tranquillement.
La femme parle à son mari d’un événement dont il ne se souvient pas.
À mesure qu’elle ajoute des détails, cependant, elle lui fournit les indices qui finissent par activer les neurones associés à l’information:
– Tu te rappelles Jean-Charles, le nouveau mari de Sandra, que nous avons rencontré à la soirée, il y a deux semaines ?
– Non…
– Mais oui ! Tu sais, celui qui portait cet énorme chapeau !
– Ah ! Oui ! Je m’en souviens !
Pour résumer, nous n’avons pas à nous contenter de peu pour expliquer.
Nous pouvons toujours améliorer la cohérence de notre espace de réflexion et enrichir son contenu.
Cela nous assurera des raisonnements plus valides, moins de distorsions et plus de bonheur.
Vous avez tout avantage à faire les efforts nécessaires pour enrichir votre manière de voir la vie et d’augmenter votre bien-être.
Cet effort s’allégera à mesure que vous utiliserez le recadrage.
Car valoriser des informations suffisantes et pertinentes pour raisonner, c’est aussi valoriser un apprentissage constant de tout ce que la vie peut vous offrir !
Connaître les autres limites pour optimiser le recadrage !
Notre cerveau construit des croyances sur le monde pour prévoir les événements et améliorer notre sort.
Cependant, comme en font état nos nombreuses distorsions cognitives, le contenu de ces croyances n’est pas toujours valide et constructif.
Nous tendons naturellement à expliquer les événements, à échafauder des théories (parfois farfelues) pour répondre à nos interrogations.
Pourtant, nous n’obtenons que des désavantages lorsque nos conclusions et nos croyances sont fausses.
Le recadrage vise à corriger cette situation.
En cherchant de nouvelles explications et en restant ouverts à la complexité du monde, vous épurerez progressivement le contenu de vos croyances.
Vous identifierez vos pensées fallacieuses et comprendrez pourquoi elles sont la source de vos malheurs.
En vous aidant à mieux interpréter, le recadrage améliorera le contenu de vos futures conclusions.
Il s’agit d’une sorte d’« hygiène » de la pensée !
Pour obtenir ces résultats ambitieux, vous pouvez vous poser fréquemment d’autres questions.
Elles servent d’aide-mémoire pour utiliser le recadrage et vous rappeler que des erreurs ont pu se glisser:
- Mes conclusions sont-elles valides et constructives ?
- Mes conclusions me fournissent-elles plus d’avantages que d’inconvénients ?
- Mes conclusions sont-elles réalistes ? Décrivent-elles vraiment ce qui se passe ?
À l’issue de ce travail de réflexion, vous constaterez avec surprise combien certaines conclusions étaient parfois grotesques avant que vous les remettiez en question.
Loin de vous déprécier (car le fait de croire que vous perdez de la valeur personnelle parce que vous vous trompez est aussi une distorsion cognitive !), cette prise de conscience constituera une véritable libération.
Encore les fausses croyances et les pensées tordues…
En parlant de l’espace de réflexion tout à l’heure, j’évoquais l’influence des informations sur notre manière de comprendre les événements.
Pour leur part, les distorsions cognitives nous rappellent qu’elles causent des problèmes à partir de la manière dont nous organisons ces informations.
Comme les questions précédentes, celles qui suivent vous aideront à utiliser chaque jour le recadrage.
Cette fois-ci, elles s’attaquent directement aux distorsions cognitives.
N’oubliez pas de vous poser ces questions lorsque des pensées et des émotions vous rendent mal à l’aise ou carrément malheureux:
- Les informations dont je dispose sont-elles suffisantes pour conclure ?
- Les informations dont je dispose sont-elles pertinentes ? Ont-elles un rapport réel avec ce dont il est question ?
- Les informations dont je dispose me permettent-elles réellement d’aboutir à ma (seule) conclusion ?
- Existe-t-il d’autres possibilités d’explication ? (si vous pouvez n’en nommer qu’une seule autre valable, c’est une raison suffisante pour ne pas tirer la conclusion qui vous fait souffrir)
Le recadrage contourne les lacunes inhérentes à notre manière de raisonner et de réagir.
La prise de conscience de nos erreurs est salvatrice car, tant que nous ignorons que nous sommes souvent la source de nos problèmes, nous ne pouvons pas les régler.
Et nous en faisons même porter la responsabilité aux autres et aux événements !
Interpréter de manière à nous rendre malheureux
Comme nous l’avons vu dans un autre article, l’interprétation, qui organise les informations que nous recueillons sur le monde qui nous entoure afin de le comprendre, découle de l’usage conjoint de plusieurs processus cognitifs.
L’interprétation est fondamentale, car elle nous amène à tirer les conclusions qui forment nos croyances et influencent notre existence.
Le recadrage contribue lui aussi à mener à bien cette importante étape.
Nous construisons des interprétations pour comprendre les paroles des autres, les souvenirs, les événements et même le fruit de nos raisonnements.
Cette compréhension nous permet d’agir et d’évoluer dans notre vie.
Et avec notre interprétation et nos évaluations s’élaborent nos croyances…
Mais nous risquons de donner un sens complètement faux à la réalité si nous ne disposons pas d’informations suffisantes et pertinentes.
C’est ce que vivent les personnes qui se croient moins importantes que les autres et qui n’osent rien entreprendre, convaincues qu’elles échoueront.
Malheureusement, la vie ne nous a gratifiés d’aucune consigne précise pour comprendre les événements: en définitive, il nous manque un « mode d’emploi » !
Nous devons recommencer à chaque fois, chaque fois nous devons interpréter à partir du contexte et de nos expériences antérieures…
Mais cela ne signifie pas que nous ne pourrons jamais comprendre quoi que ce soit.
Prenons l’exemple des gens qui possèdent une expertise quelconque: leurs chances de comprendre dépendent des connaissances valides qu’ils ont accumulées dans leur domaine.
Les experts analysent mieux, mais surtout ils réussissent plus facilement que les débutants parce qu’ils comprennent en profondeur les implications de leur activité.
Ils savent identifier efficacement les causes et mesurent mieux les conséquences.
Le recadrage équivaut au développement d’une expertise.
Depuis notre naissance, nous organisons le sens de notre vie de différentes manières.
Ce sont cette signification et ses conséquences qui nous rendent heureux… ou malheureux.
Si nous ne connaissons rien à ce processus, nous ne pouvons rien y changer.
Nous ne pouvons pas agir sur ce que nous ne connaissons pas.
Le but de mon Petit traité antidéprime est justement de vous aider à devenir experts du fonctionnement de votre cerveau, pour ne plus le subir, mais agir plutôt sur lui.
Vous développerez donc aussi une expertise dans le domaine de l’interprétation.
Avec le temps, vous vous habituerez à identifier les erreurs qui se glissent dans vos processus mentaux, vous mesurerez avec acuité leurs conséquences et vous réussirez à les éviter.
Le fait d’attribuer hâtivement un sens à une situation sans tenir compte d’autres possibilités suscite souvent des émotions négatives.
Par exemple, une personne susceptible interprète contre elle les commentaires des gens.
Pourtant, si elle considérait plus de possibilités, elle s’apercevrait que les commentaires ne sont souvent que des blagues ou qu’ils ne la concernent peut-être même pas !
Puisque nous avons tous vécu des expériences différentes, le sens d’une explication varie beaucoup d’une personne à l’autre.
Certains perçoivent comme un affront des paroles que d’autres trouvent sans importance.
Nous ressentons tous un besoin viscéral d’expliquer, mais nous ignorons que notre compréhension a ses propres limites.
Et nous nous contentons souvent de la simple impression de comprendre…
Ce qui paraît cohérent passe souvent pour de la compréhension, sans que le résultat soit valide pour autant.
Nous tendons à confirmer nos hypothèses en ne cherchant que les informations qui y correspondent.
Et nous concluons sans posséder de véritable réponse…
Par exemple, comme je vous l’ai présenté précédemment avec les fausses associations, ce n’est pas parce des événements se suivent qu’ils s’expliquent mutuellement…
Dans le cas contraire, la danse de la pluie fonctionnerait pour vrai !
L’interprétation consiste à formuler une conclusion à partir d’informations particulières.
Malheureusement, nous sommes normalement « fermés » d’esprit et classons les situations selon nos expériences antérieures.
Il ne nous est pas naturel de rechercher de nouvelles possibilités.
Cette fois, je ne suggérerai pas de questions pour favoriser l’usage du recadrage. Pour mieux tirer profit de vos interprétations, je vais plutôt décrire ses différentes étapes et vous montrer comment y intégrer le recadrage:
1. Nous percevons des informations et essayons de les comprendre.
Ces informations sont extérieures (un événement, par exemple) ou intérieures, comme des pensées ou des souvenirs.
2. Nous recherchons des informations en mémoire (des problèmes résolus avec succès, des connaissances liées à la situation, etc.) qui nous semblent appropriées pour comprendre.
3. Nous comparons les informations interprétées (ce que nous tentons d’expliquer) avec les informations activées en mémoire.
4. Nous formulons une première conclusion qui, idéalement, sera appropriée, c’est-à-dire qu’elle sera valide et mènera à des comportements adaptés.
Cette conclusion sera définitive si nous la considérons comme concluante. Étant donné que c’est habituellement à ce moment-là que se manifestent les distorsions cognitives, cette étape est extrêmement importante.
Pour les éviter, nous devons être très attentifs aux résultats qui suivent nos conclusions et nos réactions.
J’ai déjà mentionné que notre humeur constitue le principal indice d’un problème de la pensée.
Si nous nous sentons mal à l’issue de nos conclusions ou de nos réactions, c’est probablement parce que des distorsions cognitives sont à l’œuvre. C’est alors le temps de remettre nos conclusions en question.
5. Si nous ne jugeons pas concluante une mauvaise explication (parce que nous nous sentons mal), nous chercherons des informations plus riches, plus valides (retour à la seconde étape).
Ce travail de recadrage aboutira à de nouvelles conclusions qui modifieront nos représentations antérieures ainsi que nos pensées et amélioreront nos réactions tout en restaurant notre bien-être.
Ainsi, la métacognition améliore l’utilisation de nos processus cognitifs.
Ce mécanisme de contrôle est guidé par son propre résultat (l’étape 4) sur lequel nous effectuons un retour critique (retour à l’étape 2).
Il s’agit véritablement d’autorégulation puisque, si nous jugeons notre conclusion néfaste, nous la modifions pour éviter les réactions, les pensées et les émotions destructrices.
Ce contrôle vous assure que vos réactions atteignent leur but, c’est-à-dire qu’elles sont adaptées et génératrices de bien-être.
Le recadrage vous indiquera si votre conclusion atteint bien cet objectif.
Votre conclusion sera alors valide et vous pourrez l’utiliser pour réagir.
Dans le cas contraire, si vous la considérez comme inadaptée, vous retournerez en arrière en quête de nouvelles informations.
Cette attitude autocorrective donne une grande flexibilité au comportement.
La clé du bien-être réside dans cette habileté à modifier quotidiennement nos réactions et à anticiper (et éviter) leurs conséquences fâcheuses.
Voici un schéma qui résume le fonctionnement du recadrage dans notre interprétation:
La maîtrise de vos processus cognitifs peut modifier complètement votre manière de voir votre propre existence.
L’interprétation joue donc un rôle primordial car, sans que vous en preniez conscience, vous évaluez constamment ce qui vous entoure.
Et vous pouvez toujours interpréter une multitude de sens différents sans jamais complètement connaître la vérité.
Pour peu qu’on s’y arrête quelques instants, n’importe qui peut faire une liste des particularités exclusivement positives ou exclusivement négatives d’une situation.
Combien de fois ai-je entendu des gens me parler de l’amour comme de la plus belle expérience qui soit, et combien d’autres fois encore l’ai-je entendu décrire comme une intarissable source de souffrances ?
Incontestablement, les événements quotidiens sont complexes et mêlent toujours des caractéristiques positives et négatives.
Mais ces deux visions opposées de l’amour illustrent bien l’importance de l’expérience personnelle, des émotions et des différentes manières de raisonner.
Elles confirment le caractère fondamentalement variable du sens que nous donnons aux choses.
L’interprétation vous permet de choisir, d’expliquer et d’agir.
Elle vous aide à prévoir les événements et à évaluer les gens que vous fréquentez.
Malgré votre besoin de comprendre, vous pouvez privilégier les explications riches, valides, et parfois vous empêcher de conclure.
Le recadrage de vos interprétations vous aidera ainsi à maîtriser le sens que vous donnez aux choses et à ne pas vous contenter de conclusions inappropriées.
Vous saurez mieux quand réviser vos conclusions, si elles vous mènent à une impasse ou vous plongent dans des pensées ou des comportements qui vous rendent malheureux.
Si cet article vous a plu, sachez qu’il est tiré de mon livre Petit traité antidéprime. Vous pouvez vous le procurer en version ebook pour le lire en entier.
Référence
- STEVENS, A. and P. Coupe (1978), «Distortions in judged spatial relations», dans Cognitive Psychology, vol. 10, p. 422-437.
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