Car être courageux dans l’isolement, sans témoins, sans l’assentiment des autres, face à face avec soi-même, cela requiert une grande fierté et beaucoup de force. (Milan Kundera)
Certains problèmes sont difficiles à aborder alors que d’autres semblent parfois insolubles.
En voici un qui pose un peu de ces deux difficultés: Que doit-on faire pour que le recadrage fonctionne facilement chaque fois qu’on en a besoin ?
Cette question, je me la suis posée nombre de fois.
Cependant, je n’ai pas encore découvert de réponse finale. Peut-être n’en existe-t-il pas, d’ailleurs…
Dans cet article, je vous propose ce que j’ai trouvé de mieux.
Les différents atouts personnels
Les nombreuses différences individuelles constituent le premier problème que pose le recadrage.
J’ai déjà parlé de la difficulté qu’il y a à faire certains commentaires constructifs aux personnes qui ont une piètre estime d’elles-mêmes.
Ne s’apercevant pas du tout que ces commentaires sont une tentative de leur venir en aide, elles les interprètent au contraire comme une critique ou une manifestation de rejet à leur égard.
Heureusement, d’autres personnes sont ouvertes et perméables à ces conseils, et elles n’ont rien à perdre à en tenir compte.
Cela me permet de rappeler que la première condition de notre bien-être consiste à être ouverts au changement.
Ceux qui le refusent risquent de s’enfermer dans un malheur dont les causes premières sont souvent leurs propres distorsions cognitives.
Toutefois, pour que le recadrage fonctionne, nous devons adopter d’autres attitudes qui se greffent à la capacité de changer: valoriser l’adaptation, vouloir être heureux et porter surtout attention aux erreurs naturelles que nous commettons.
Le recadrage commande quelques changements importants dans la perception de soi et l’interprétation du monde qui nous entoure.
En ce sens, son utilisation exige une forme de conversion.
Indépendamment de toute connotation religieuse, j’entends le terme « conversion » comme la suppression de certaines valeurs (arrêter de croire que la colère est constructive, par exemple) et l’ajout de certaines autres, comme reconnaître l’importance de l’ouverture d’esprit.
Il est surprenant de constater que plusieurs personnes disent qu’il est normal et avantageux de s’adapter sans pour autant qu’elles le fassent.
Même si elle est garante de bonheur, l’adaptation demande toujours un effort que tout le monde ne semble pas prêt à fournir.
Pour que le recadrage fonctionne, il ne faut pas seulement être d’accord avec son principe, il faut encore avoir le courage de l’appliquer chaque jour.
D’autres attitudes sont également salutaires.
Par exemple, puisque le recadrage nécessite de nouvelles manières d’interpréter et de réagir, il est profitable de s’intéresser davantage à soi-même, pour mieux se connaître.
Nous n’aspirerons évidemment pas à devenir égocentriques, mais à être plus conscients de ce que l’on privilégie et de ce qui motive nos valeurs.
Cette autonomie psychologique favorisera la maîtrise de notre vie et nous aidera à faire de meilleurs choix.
Prendre des notes, ça fait toute la différence !
Comme je l’ai souvent répété, il est très utile de recourir à la prise de notes comme support au recadrage.
Il s’agit de consigner par écrit l’analyse de vos pensées pendant le recadrage, en identifiant vos distorsions cognitives et vos émotions négatives, et d’inscrire ensuite de quelle façon vous les avez remplacées, et par quoi.
Grâce à cette pratique, non seulement vous aurez sous la main des exemples de « marche à suivre » qui ont fonctionné, mais vous reverrez également vos conclusions et vos croyances « corrigées », plus valides et plus réalistes.
Ces notes vous rappelleront facilement la manière dont vos faux raisonnements se manifestent et comment vous avez fait pour les éliminer.
Les notes forment, en quelque sorte, le support matériel de votre travail de recadrage.
Il s’agit d’une technique efficace que vous pouvez utiliser au quotidien.
Les exercices et les résumés qui suivent vous aideront à raffiner votre stratégie en matière de prise de notes.
Ils s’inspirent du Rapport quotidien des pensées dysfonctionnelles de Beck et ses collègues1 ainsi que du formulaire d’aide personnelle de l’Institut pour la thérapie rationnelle-émotive2.
Au moment où vous passerez une situation au crible du recadrage, remplissez rapidement les cases (voir le modèle plus bas) en indiquant les informations selon les circonstances et les objectifs que vous désirez atteindre.
Quand, travaillant à éprouver la validité d’une croyance, vous utiliserez la stratégie visant à mettre à mal vos distorsions cognitives, vous devrez amasser suffisamment d’informations pour les réfuter.
Vous pourrez ainsi vérifier si vous avez de bonnes raisons de croire en la véracité de vos certitudes.
S’il n’y a pas de preuves réelles en faveur d’une croyance, vous vous en apercevrez plus facilement et saurez surtout pourquoi cette croyance n’est pas valide.
En notant les informations nouvelles, vous profiterez d’un accès rapide aux arguments capables de réfuter vos fausses conclusions avant qu’elles ne causent trop de dégâts.
Les notes pour éprouver la validité d’une croyance ou d’une conclusion
- Notez la croyance ou la conclusion (le contenu des pensées)
- Notez les preuves en faveur de cette croyance
- Notez les preuves contre cette croyance
- Notez les la nouvelle conclusion à laquelle vous parvenez (plus nuancée et qui ne suscite plus d’émotions négatives):
Les listes qui suivent ci-dessous vous présentent un exemple de notes qui vous aideront à remettre en question vos distorsions cognitives, étape par étape.
Elles soulignent également la relation que ces pensées entretiennent avec votre état.
À mesure que vous pratiquerez le recadrage à l’aide de ces notes, vous deviendrez plus compétents et vous maîtriserez plus facilement vos réactions.
En fait, je vous conseille d’utiliser le support écrit jusqu’à ce que vous ayez atteint un niveau d’efficacité suffisant pour vous en passer.
Cela prendra de quelques semaines à quelques mois.
Il est également utile de noter ce qui favorisera l’amélioration de votre état d’esprit: les résultats de vos analyses, la compréhension de vos réactions, la correction des distorsions cognitives, de nouvelles stratégies pour améliorer le recadrage, etc.
Les notes pour soutenir le recadrage (avec exemples)
Date:
Heure:
1. Les informations de base
La situation (le contexte): Exemple: Lors d’une soirée, des amis se sont mis à dire à André pourquoi ils le trouvaient parfois déplaisant.
L’état (la nature et l’intensité des émotions éprouvées: le malaise peut être noté sur une échelle de 1, très heureux, à 10, absolument malheureux): Exemple: André se sent confus, triste et profondément irrité de leur attitude à son égard. Son malaise se situe à 8.
2. Le contenu de nos pensées
Exemples de pensées d’André:
- Ces personnes ne doivent pas me traiter de la sorte !
- Je dois toujours être apprécié des autres !
- Il est absolument terrible d’être rejeté !
- Je ne possède aucune valeur personnelle !
- Je ne peux pas supporter ce sentiment de malaise !
- Les gens me rejetteront à l’avenir !
3. La remise en question des conclusions (recadrage)
La validité:
- Les informations sont-elles suffisantes ?
- Les informations sont-elles pertinentes ?
Exemple: André se dit qu’il est vrai que cela ne lui est pas arrivé très souvent: les informations ne sont donc peut-être pas suffisantes pour conclure de la sorte…
L’identification des distorsions cognitives:
- Suis-je en train de commettre une généralisation, un mauvais rapport de cause à effet, une sélection d’informations, etc. ?
- Existe-t-il d’autres possibilités pour comprendre la situation ?
Exemple: André se dit: « Le contenu de mes pensées semble tendre à la généralisation.
Comment puis-je affirmer que cette situation est insupportable ou aussi terrible ?
Pour quelles raisons devrais-je être constamment apprécié de tous ?
Les autres ne peuvent pas toujours être d’accords avec moi…
Il se peut que mon identité soit blessée et que les émotions m’empêchent de réfléchir convenablement.
Mes amis m’apprécient probablement beaucoup malgré leurs commentaires à mon égard.
En fait, leur critique constructive pourrait même contribuer à enrichir ma vie. »
4. La correction de nos conclusions et de nos croyances
Les conséquences possibles des distorsions cognitives:
André se dit: « Mes généralisations m’ont fait aboutir à des conclusions extrêmement négatives qui ont directement suscité des émotions encore plus déplaisantes. »
La réorganisation des informations: corriger les distorsions cognitives, modifier le contenu des pensées, etc.:
André: « Je constate maintenant que je peux ne m’en tenir qu’aux faits, c’est à dire que je peux corriger quelques petits défauts personnels que mes amis ont bien fait de souligner. »
Déconstruire l’aspect catastrophique:
- Quel est le pire événement qui pourrait m’arriver ?
- Et même si cela arrivait, que se passerait-il ?
Pour vous aider à vous pratiquer et à utiliser le recadrage efficacement, je vous ai préparé un beau tableau que vous pouvez imprimer facilement et qui est tout prêt à remplir (en format pdf): vous pouvez le télécharger ici. |
Voici encore un exemple. Si vous visez un objectif réaliste mais que vous êtes découragés parce que vous le voyez quand même comme étant inaccessible, vous écrirez qu’il s’agit d’une généralisation.
Vous pourrez aussi noter que vous ne disposez pas des informations nécessaires pour connaître la difficulté réelle de cet objectif et que vous n’avez aucune raison valide de vous décourager.
Il est préférable de mettre l’accent sur les pensées et les émotions négatives, mais aussi sur les raisons pour lesquelles elles sont strictement inutiles et ne vous apportent que de la souffrance (inutile, de surcroît !)
Vous serez satisfaits d’ajouter les éléments positifs qui vous viendront ensuite à l’esprit, comme les bienfaits découlant de la maîtrise de ces pensées néfastes.
Vous pouvez finalement utiliser une enregistreuse portative pour consigner vos idées noires lorsque quelque chose ne va pas ou lorsque vous obtenez de nouvelles conclusions après avoir déconstruit une distorsion cognitive.
Grâce à ces nouveaux points de repère (notes et enregistrements), vous identifierez plus rapidement le contexte, les réactions automatiques et les pensées négatives, bref, tout ce qui est impliqué dans vos états désagréables.
Les aide-mémoire
Comme toute bonne habitude, le recadrage est un processus qui exige d’abord que nous y pensions au moment opportun.
Pour y arriver, commencez par vous doter d’un pense-bête, c’est-à-dire un petit objet dont l’existence est spécifiquement liée au recadrage.
Ce sera un bijou, comme une bague ou un pendentif, ou tout autre objet qui ne nuira pas à vos activités.
Au début, jusqu’à ce que vous en ayez pris l’habitude, cet aide-mémoire vous rappellera que vous pouvez réviser vos interprétations.
Une autre technique consiste à vous répéter intérieurement des instructions simples en rapport avec vos attitudes problématiques les plus fréquentes.
Vous pourriez leur donner la forme de questions ou de brèves affirmations. Par exemple:
- Par rapport à la généralisation, à la simplification des causes et des effets, etc.: Ma conclusion est-elle excessive ?
- Pour contrer l’autodénigrement et la culpabilité: Je n’ai pas à m’évaluer !
- Pour diminuer les émotions négatives comme l’anxiété: Mon état n’est que passager.
- Pour minimiser la timidité: Je n’ai pas à me soucier de ce que pensent les autres.
Vous pouvez enfin renforcer positivement le recadrage en associant le succès de son usage à un contexte plaisant.
Il s’agira de vous récompenser en vous offrant un loisir ou un petit cadeau ou encore en vous félicitant chaque fois que vous utilisez le recadrage.
Si vous vous gratifiez lorsque vous arrivez à supprimer vos distorsions cognitives, cela renforcera encore plus vos futurs succès !
Devenir bons avec le recadrage pour utiliser le sens à votre avantage
L’aspect le plus fondamental du recadrage réside dans le sens que nous donnons aux choses, aux autres et aux événements.
Mais mesurons-nous bien toute l’ampleur de ce travail sur le sens ?
La moindre préférence, la moindre activité consciente passe par le sens que nous donnons.
Prenons l’exemple de deux personnes qui travaillent au même endroit.
La première n’aime pas son emploi et se prépare à le quitter tandis que la seconde aimerait y demeurer jusqu’à la retraite.
Si ces deux personnes perdent en même temps leur emploi, il y a de fortes chances pour que la première soit contente tandis que la seconde verra ses espoirs s’évanouir.
La différence entre les deux réside essentiellement dans leur manière respective d’organiser le sens: leurs projets personnels, leurs valeurs, etc.
Chacun de nous pourrait citer des centaines d’autres exemples similaires qui tous témoigneraient du fait que nous utilisons le sens en toute chose.
Cette signification nous permet d’agir, de choisir et de réfléchir.
Elle est formée de toutes les informations que nous avons recueillies sur le monde et la vie depuis notre naissance.
Ce sens oriente notre interprétation et nous révolte (ou non) à la suite d’un commentaire, ou lorsque le voisin augmente le volume de sa musique.
De plus, notre capacité à contrôler ce sens et même à le modifier assure l’efficacité du recadrage.
Lorsque nous interprétons, nous recherchons les informations les plus pertinentes pour rendre cohérente la situation que nous essayons de comprendre.
Si les distorsions cognitives sont aussi nocives, c’est justement parce que nous sommes profondément convaincus de la valeur et de la cohérence de leurs conclusions.
C’est le crédit que nous leur accordons qui nous détruit.
Cependant, pour couper court à ce processus pernicieux, il ne suffit pas de remarquer qu’une conclusion est invalide ou insuffisante. Nous devons être convaincus qu’elle contribue directement à nous rendre malheureux.
Nous nous apercevons souvent que nos attitudes ou nos pensées sont néfastes, mais nous continuons à les entretenir comme si de rien n’était. C’est pour cette raison que la conscience ne suffit pas: il faut que la signification suive la même démarche.
Lorsque vous aurez la conviction que les distorsions cognitives vous sont horriblement néfastes, le recadrage les régularisera plus facilement.
Il reste donc à maîtriser le sens qu’engendrent nos erreurs de pensée…
C’est là que se trouve le plus grand défi.
Bien sûr, il sera aussi difficile de stopper complètement nos distorsions cognitives que de nous empêcher d’en faire de temps à autre. Mais le plus important consistera à cesser d’accorder de l’importance leur contenu.
Par exemple, Richard est triste et peu motivé parce qu’il ne se croit pas digne d’être apprécié par les autres.
Sa souffrance provient de cette condamnation qu’il abat sur lui-même sans pitié.
Pourtant, s’il analysait la validité de sa croyance et la remettait en question, il s’apercevrait qu’il a plusieurs amis, que les gens l’appellent et lui expriment leur appréciation de maintes manières.
Richard devra admettre que ce qu’il pense à son sujet est complètement erroné.
Cette étape finale qui modifie la croyance est la plus difficile à accomplir, surtout lorsque les émotions nous envahissent.
Le recadrage est un processus dynamique mais graduel à travers lequel vous assimilerez chaque fois de nouvelles connaissances.
Grâce à la pratique, vous transformerez ces connaissances en un outil puissant dont vous vous servirez le reste de votre vie.
C’est pourquoi j’ai comparé le recadrage à l’apprentissage de la lecture.
Il s’agit du même processus que lorsque nous maîtrisons une nouvelle habileté.
Comme avec la lecture ou la conduite automobile, nous finissons par développer une expertise qui nous rend plus efficaces.
Le recadrage suit les étapes de n’importe quel autre apprentissage.
Lorsque nous apprenons à conduire, nous concentrons d’abord notre attention sur chaque geste.
Mais à mesure que nous nous exerçons, nos mouvements deviennent de plus en plus faciles.
Ce qui exigeait l’attention et l’intention, comme tourner le volant et changer de vitesse, s’effectue presque automatiquement.
Les efforts s’amenuisent, l’activité devient agréable, l’expertise se met en place.
Comme les autres formes d’apprentissage, le recadrage est le produit de tous les importants facteurs décrits ci-dessous.
1. Les attitudes nécessaires.
Nous devons avoir le désir de changer, d’apprendre et d’obtenir des résultats positifs; avoir la motivation pour le faire et en assumer la responsabilité; jouir de l’autonomie nécessaire pour y arriver par nous-mêmes.
2. La mémorisation et la compréhension de ce qu’il faut faire pour recadrer.
Ces informations sont toutes les explications que j’ai fournies dans les pages de mon livre et de mon blogue.
Rappelez-vous que les résumés, notamment, vous seront très utiles, car ils donnent un accès rapide aux informations les plus importantes.
3. Des stratégies efficaces pour obtenir les résultats escomptés.
L’usage du recadrage dans une situation problématique nécessite un retour sur notre apprentissage.
Par la suite, cela nous oriente pour déterminer ce que nous devons encore améliorer pour mieux utiliser le recadrage.
Grâce à chacune de ces étapes, vous jouerez un rôle actif dans le travail du recadrage dans votre vie.
Leur bonne compréhension augmentera la qualité de vos résultats.
À mesure que vous réussirez, vous comprendrez le lien étroit qui unit vos nouvelles attitudes et le contexte agréable qu’elles favorisent, les conflits qu’elles vous font éviter ou qu’elles vous aident à régler.
Cela confirmera non seulement votre expertise, mais augmentera également votre motivation et votre estime de soi.
Plutôt que de voir le recadrage comme une corvée ou un effort surhumain, vous en arriverez à le considérer comme une source de bien-être.
Simplement.
Il faudra cependant être suffisamment autonome et responsable pour que, malgré les difficultés, les sacrifices et les erreurs, vous continuiez dans cette voie et adaptiez vos stratégies.
À mesure que vous réussirez, vous anticiperez le plaisir et les inestimables avantages que le recadrage vous procurera.
Maintenir une « hygiène » de la pensée
Le recadrage et l’apprentissage font écho aux représentations, à la catégorisation et aux processus top-down.
En effet, pour agir précisément sur notre manière d’interpréter et contrôler nos distorsions cognitives, nous devons maîtriser nos processus mentaux et influencer positivement la manière dont nous réagissons aux événements du quotidien.
Pour supprimer efficacement les distorsions cognitives, nous devons être plus que certains qu’elles existent et qu’elles nous détruisent. Il s’agit vraiment de remplacer une signification par une autre.
Honnêtement, est-il vraiment avantageux et réaliste de croire que personne ne nous aime ?
Que nous ne valons rien ?
Que nous ne pourrons jamais réussir quoi que ce soit ?
J’en doute fort…
Nous ne mettrions jamais volontairement notre main sur un poêle chauffé à blanc !
C’est pourtant ce que nous faisons chaque fois que nous donnons du crédit à des distorsions cognitives.
Il est aussi illogique d’entretenir des fausses croyances qui nous plongent dans le désarroi que de se brûler volontairement.
La différence réside cependant dans la difficulté à identifier ce qui nous nuit autant.
L’image d’un poêle brûlant est saisissante.
Les effets des distorsions cognitives ne nous semblent pas aussi évidents.
Ils arrivent pourtant à entretenir une vie de malheur et mènent même au suicide, ce qui, je crois, est suffisamment percutant…
Si j’ai consacré autant d’explications aux distorsions cognitives, c’est justement pour vous aider à bien les comprendre.
C’est aussi la raison pour laquelle j’ai précédemment utilisé l’image de l’automutilation.
Tant que nous ignorerons que certains de nos comportements nous détruisent, il sera très difficile, voire impossible, de les modifier.
Le premier effort consiste à recourir au recadrage (métacognition) chaque fois que nous nous sentons malheureux.
Cet aide-mémoire est peut-être le moyen le plus sûr d’améliorer rapidement notre condition.
Nous pouvons aussi garder en tête les conséquences néfastes des distorsions cognitives.
Chaque fois que nous identifierons une conséquence, nous saurons qu’il y a présence de distorsions et que nous pouvons les déconstruire.
Le meilleur moyen d’augmenter l’efficacité du recadrage consiste donc à constater que, sans l’ombre d’un doute, les pensées et les comportements qui nous rendent malheureux sont aussi inutiles et absurdes que de mettre notre main au feu.
Mais il y a quelque chose qui pourrait nous inciter à croire à nos distorsions cognitives, c’est le fait que toutes nos pensées proviennent de nous-mêmes.
Nous les élaborons en interprétant sans cesse ce qui nous entoure et en lui donnant un sens.
Il semble donc naturel que nous trouvions nos pensées cohérentes même si elles nous rendent malheureux.
Le feu constitue une expérience complètement extérieure à nous-mêmes: il nous viendrait difficilement à l’idée d’affirmer que sa chaleur ne peut pas nous brûler.
Il n’en va pas de même avec les distorsions cognitives qui ne semblent pas aussi nocives.
C’est pourquoi le fruit de notre analyse doit nous convaincre avec une force égale à celle de l’exemple du feu que nous n’avons aucune raison de conserver ces distorsions.
Il sera plus facile de ne pas croire en nos distorsions si nous savons que, comme le feu, elles sont très dangereuses.
Notre conviction quant à leur nocivité nous aidera, au moment opportun, à nous rappeler que nous entamons un processus d’autodestruction et qu’il est grand temps d’utiliser le recadrage.
La métacognition, le second niveau de pensée, implique nécessairement que nous pensions à quelque chose, le premier niveau.
Les deux niveaux ne seront jamais indépendants l’un de l’autre.
Ce fonctionnement est particulièrement important lorsque nous prenons conscience (second niveau) des pensées comme les distorsions cognitives que nous ne voulons pas entretenir (premier niveau).
Comme nous l’avons vu avec l’effet paradoxal de la suppression des pensées intrusives, c’est notre désir de nous soulager l’esprit qui nous nuit en activant les pensées importunes, au lieu de les éliminer.
Par exemple, si nous nous répétons continuellement que les critiques acerbes que nous formulons à notre endroit ne sont pas véridiques, nous risquons davantage de les entretenir.
C’est la raison pour laquelle le recadrage ne vise pas à rejeter nos pensées, mais qu’il nous permet plutôt d’en modifier la signification et de les enrichir.
Par exemple, il souligne notre valeur personnelle, concentre notre attention sur des aspects plus positifs et nous aide à affronter les pensées négatives pour nous en désensibiliser.
L’efficacité du recadrage repose donc beaucoup sur le crédit que nous accordons à nos propres pensées.
Pour modifier positivement les conclusions issues de nos distorsions cognitives, nous devons obtenir des informations que nous jugeons plus pertinentes que celles dont nous disposons déjà.
Pour illustrer la modification d’une croyance fausse, je dirais que bien rares sont les personnes qui, aujourd’hui, s’obstineraient à affirmer que la terre est plate !
À la suite de Galilée, nous avons amassé suffisamment de preuves pour croire que terre est ronde.
Pourtant, nous avons cru le contraire pendant des siècles et, à son époque, l’Église a même obligé le pauvre Galilée à se rétracter.
Ainsi, tant que nous ne nous ouvrons pas à d’autres possibilités pour valider nos croyances, nous limitons fondamentalement notre compréhension du monde.
Voici un autre exemple de la vision humaine du cosmos.
Depuis la nuit des temps jusqu’à Newton, les gens ont majoritairement cru que l’univers ne changeait jamais: ce que l’on en observait ne donnait aucune raison de croire que son avenir différerait de son passé.
Pourtant, les recherches contemporaines en astrophysique indiquent non seulement que notre Soleil est né il y a environ cinq milliards d’années, mais qu’il mourra aussi un jour.
Contrairement à ce que l’on croyait anciennement, l’univers n’est pas immuable.
Il possède une histoire, et son passé est fort différent de ce que son avenir réserve.
Ces exemples illustrent l’importance du statut que nous accordons aux informations.
Pour remettre en question des croyances et des comportements erronés, nous devons être profondément convaincus du mal qu’ils nous font.
Si aucune autre source d’information ne nous en fait la démonstration (la seconde étape du recadrage), nous trouverons extrêmement difficile de croire que ces croyances et ces comportements nous nuisent.
L’importance des autres…
Les personnes qui nous entourent jouent aussi un rôle central dans l’élaboration de nos croyances.
Selon l’importance que nous leur accordons, leurs paroles à notre endroit peuvent nous soutenir autant que nous démolir.
C’est ce potentiel négatif qui est à l’œuvre lorsque des parents déprécient leurs enfants.
Par exemple, ces conséquences seront désastreuses pour un bambin à qui l’on répète sans cesse qu’il n’est bon à rien ou, pire encore, qu’il n’aurait pas dû naître…
De la même manière, le statut que nous accordons à nos interlocuteurs demeure primordial pour nous convaincre.
Si un psychologue et un livreur de pizza vous tiennent les mêmes propos au sujet des distorsions cognitives, vous accorderez probablement plus de crédit au premier qu’au second, même si les deux ont raison.
Cette reconnaissance de l’« autorité » forge plusieurs de nos convictions.
Il importe cependant de rester vigilants, car cette influence est parfois gratuite ou nuisible…
Mais les autres peuvent aussi nous faire grandir.
Le simple fait de savoir qu’une autre personne a vécu le même problème nous soulage tout à coup d’une partie de son poids.
Soudainement, on n’est plus seul !
Ainsi, au lieu de se juger trop durement, on attribue moins d’importance à nos problèmes.
Cela permet de réinterpréter nos expériences négatives, de nous y habituer et de les accepter.
Pour aider à traiter la dépression, nous pouvons modifier le sens des événements qui nous arrivent. Par exemple:
- Croire que la dépression a une durée limitée nous motive pour en sortir;
- Le simple fait d’attribuer nos malaises à des causes également extérieures, telles que le fonctionnement biologique du cerveau, déculpabilise en diminuant la responsabilité personnelle.
Comme vous le constatez, le sens est infiniment malléable.
À vous, maintenant, de ne plus lui faire jouer le rôle de bourreau et de l’employer plutôt comme un digne serviteur !
Si cet article vous a plu, sachez qu’il est tiré de mon livre Petit traité antidéprime. Vous pouvez vous le procurer en version ebook pour le lire en entier.
Références
- BECK, A. T., G. Emery and R. L. Greenberg (1985), Anxiety disorders and phobias. A cognitive perspective, New York, Basic Books, 343 p., p. 205.
- Voir ELLIS, A. and J. M. Whiteley (1979), Theoretical and empirical foundations of rational-emotive therapy, Monterey, Brooks/Cole Publishing company, 274 p., p. 75-77.
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