Ne pas trouver de raison (suffisante) de croire est une raison suffisante de ne pas croire. (Karl Popper)
Maintenant que de vous savez comment appliquer le recadrage et maximiser ses effets, vous pouvez le mettre au centre de vos activités quotidiennes.
Il ouvre d’infinies possibilités pour observer, analyser, glaner les informations qui expliqueront avec plus de nuance chacune de vos expériences et vous éviteront les distorsions cognitives.
Dans cet article, après vous avoir partagé les étapes détaillées du recadrage et ce qui en supporte l’utilisation, j’aimerais maintenant vous donner des exemples supplémentaires pour vous aider à en profiter.
Le recadrage vous montre qu’en définitive la vie repose sur le sens que vous lui donnez.
Car en découvrant des explications multiples, vous constaterez que vos conceptions du monde sont riches et infiniment variables.
La recherche de nouveaux éléments qui enrichissent votre vision du monde ne place pas pour autant toutes vos croyances sur un même pied d’égalité: si les preuves varient, la validité aussi.
Par exemple, je suis profondément optimiste face au pouvoir qu’a la science d’expliquer l’être humain.
Elle effectue une constante mise à jour de notre compréhension du monde.
Comme le recadrage, la pensée scientifique n’élabore pas ses explications de façon arbitraire et elle ne fige jamais pour de bon le contenu de ses théories.
Elle recherche la validité.
Tous autant que nous sommes, nous nous forgeons naturellement des croyances erronées, nous exposant ainsi à avoir des réactions inadaptées et à vivre des situations désagréables qui nous rendent malheureux.
En privilégiant la validité, nous nous engagerons à préférer le meilleur pour nous-mêmes.
Puisque nous élaborons nos comportements à partir de nos croyances, il est normal que nous fassions une place de choix aux croyances de « bonne qualité »…
Éviter les croyances trop rigides
Lorsqu’on évoque la notion d’apprentissage, on songe presque automatiquement à l’école et aux livres.
Mais quand il est question de la vie, le mot « apprentissage » gagne un sens qui déborde largement celui de l’instruction.
Dans ce cas, l’apprentissage se définit tout simplement comme une attitude constructive d’ouverture face aux événements quotidiens.
L’apprentissage ne consiste pas à apprendre par cœur d’interminables leçons.
Il est plutôt une ouverture d’esprit qui tient suffisamment compte de nos connaissances et de nos expériences nouvelles pour qu’elles nous soient véritablement utiles.
Cette attitude consiste simplement à déployer votre curiosité, et à ne pas entretenir trop de réactions automatiques ni d’explications «par défaut», mais plutôt à tirer profit de cette conscience dont nous sommes tous dotés.
Plus le sens que nous accordons aux événements et au monde qui nous entoure est restreint, plus nous accroissons notre inadaptation devant leur complexité.
En d’autres mots, les préjugés multiplient les expériences éprouvantes.
En voici quelques exemples:
Les conflits
Si nos opinions sont trop rigides, nous croirons qu’elles sont les seules vraies possibles et nous nous refermerons aux opinions des autres.
C’est un très bon plan pour multiplier les conflits…
Il ne s’agit pas ici de changer d’avis dès qu’un interlocuteur ne partage pas notre opinion ni, à l’opposé, d’avoir raison à tout prix.
Nous pouvons plutôt rechercher la validité en toute chose, que nous ayons raison ou tort.
Les déceptions
Si à l’avance, dans notre tête, nous déterminons avec rigidité la manière dont les événements doivent se dérouler, nous vivrons une intense déception chaque fois qu’ils s’écarteront de ce que nous avons prévu.
Et ce scénario se produira souvent !
Nous pouvons trouver des aspects positifs dans chaque situation.
Pourquoi, tout simplement, n’accepterions-nous pas ce qui nous arrive en modifiant pour le mieux nos actions, pour enrichir autant le présent que l’avenir ?
En adoptant activement un comportement constructif, nous découvrirons un bonheur autrement plus agréable que ce que nous aurions pu seulement prévoir.
L’indétermination est aussi source de plaisir !
La révolte
Plus nous arrêtons pour de bon la façon dont les événements doivent se dérouler, plus nous risquons de ne pas les accepter, de nous révolter.
Cette attitude entretient des sentiments lourds et inutiles tels que le ressentiment et la rumination.
Le recadrage nous préserve des interprétations exagérées.
Il arrive si souvent que nous retournions dans notre esprit quelque idée irréaliste, l’amplifiant parfois de dimensions désagréables.
Nous nous arrêtons à un détail inoffensif et l’interprétons négativement, parfois contre nous-mêmes.
Ainsi, le rire d’une inconnue se transformera en hoquet de mépris. Un chuchotement deviendra un complot. Et ainsi de suite.
Réfuter les conclusions erronées
Pour peu que vous vous assuriez de la validité de vos croyances aussi bien que de la qualité de leurs sources, vous serez en mesure de ne pas dépasser les limites d’une interprétation saine et réaliste.
Vous pouvez toujours échapper à votre discours intérieur lorsqu’il prend une tournure négative.
Si vous voulez mieux comprendre la manière dont vous pouvez réfuter vos propres distorsions cognitives grâce au recadrage, examinez l’exemple suivant.
Pascale, ses conclusions tordues et ses autoréfutations
Conclusions: À quoi bon vivre, mon existence ne sert à rien et personne ne m’aime !
Autoréfutation (recadrage): Ces conclusions sont excessives et me rendent malheureuse.
Je suis certaine de pouvoir nommer plusieurs de mes réalisations et de recevoir des marques d’appréciation de la part des gens que je côtoie.
Conclusions: Je ne suis bonne à rien, je ne m’intéresse à rien, tout est désagréable.
Autoréfutation: La vie comporte d’infinies possibilités.
Pour être heureuse, je peux essayer de nouvelles activités, élaborer un projet, me concentrer avec réalisme sur les résultats que je suis capable d’obtenir.
C’est la manière dont j’articule mon présent qui fait la différence entre cette impression d’inutilité et l’intense satisfaction que je pourrais, au contraire, retirer du quotidien.
Conclusions: Mon existence n’a aucun sens et personne ne serait triste si je n’étais plus là !
Autoréfutation: Il s’agit d’une généralisation ! Si ma vie n’a aucun sens, c’est justement parce que je broie du noir.
Plutôt que de ne m’arrêter qu’au pire, je peux me concentrer sur le plaisir que j’ai à de nombreuses occasions, probablement plus souvent que je ne l’imagine actuellement.
L’exemple de Pascale montre ce qu’une personne déprimée pense d’elle-même.
Le recadrage lui sera donc d’un grand secours, même s’il peut s’appliquer à n’importe quelle autre situation.
Prenons un exemple, plus banal. Imaginez qu’Édouard va chercher ses souliers qu’il a fait réparer chez le cordonnier.
Il attend de longues minutes sans que le cordonnier ne trouve les souliers.
Voici son discours intérieur:
Conclusions issues des distorsions cognitives d’Édouard: Quel imbécile ! Il est tellement mal organisé…
Autoréfutation: Une situation imprévue a peut-être provoqué un désordre dans les sacs de chaussures des clients. Ce n’est pas nécessairement de sa faute.
Conclusions: Pour qu’il apprenne à ne pas répéter cette erreur, je vais lui dire ma façon de penser et il va perdre ma précieuse clientèle.
Autoréfutation: En le réprimandant, je ne ferai qu’attiser sa colère, ce qui sera loin de l’inciter à « apprendre » quoi que ce soit…
De plus, c’est la première fois qu’un tel incident se produit, et lui retirer ma clientèle m’incommodera sans doute davantage que lui…
Idéalement, l’autoréfutation vise à neutraliser l’effet dévastateur de nos émotions et de nos pensées erronées en signalant combien elles sont excessives, irréalistes, inutiles et génératrices de malheur.
L’intégration du recadrage à votre vie de tous les jours vous aidera à considérer l’ensemble de votre personne et de vos expériences lorsque vous aurez besoin de vous comprendre plus globalement et de vous harmoniser à la vie.
Cette attitude régularisera vos besoins et vos activités de manière à ce qu’aucune distorsion ne rompe cet équilibre.
Vous gagnerez beaucoup à vous ouvrir à la différence.
Observer, comprendre, appréhender différemment l’existence, c’est se doter d’une vision du monde garante de bonheur.
Mais puisqu’il nous est impossible d’évaluer la réalité à partir d’un autre point de vue que le nôtre, nous nous constituons nécessairement une « banque » de préjugés, des informations qui nous permettent d’agir plus rapidement.
Comment, alors, tirer profit de ces stéréotypes sans souffrir de leurs lacunes ?
C’est ici que l’ouverture à la différence et la conscience de nos pensées entrent en jeu.
Le recadrage nous aide à assurer la validité des informations contenues dans notre « banque » de croyances.
En effet, ces informations s’enrichissent selon les situations tout en nous fournissant les ressources nécessaires pour ne pas toujours réagir de la même manière.
Même si nous ne pouvons adopter un autre point de vue que le nôtre, certains comportements sont bel et bien plus constructifs que d’autres: ils nourrissent notre bien-être.
Nous concluons trop rapidement en maintes occasions
Souvent, nous nous posons comme seule référence possible, ne cherchant aucun point de vue alternatif.
Nous restons campés dans nos positions sans réfléchir davantage, ce qui nous empêche de nuancer nos croyances.
Ces comportements sont nuisibles dans la mesure où ils reposent sur des conclusions fausses mais surtout très difficiles à changer.
Ils nous incitent à nous fermer aux autres en les jugeant trop rapidement et en les rejetant de façon totalement arbitraire…
C’est ce qui fonde des attitudes comme le racisme.
Ce qui distingue ce comportement malsain du comportement sain que nous cherchons à adopter, c’est l’analyse et la distanciation.
La conscience nous évite les conclusions extrêmes, du type tout ou rien, pour ne pas étiqueter les gens ou les événements à partir de simples impressions.
Nombreuses sont les connaissances qui prennent la forme de contrastes, de différences.
Pour comprendre une opposition, nous devons connaître chacun des deux termes qui la composent.
Le terme « haut » permet de comprendre le « bas », et vice-versa.
Lorsque nous formulons une conclusion sur le mode « tout ou rien », nous procédons un peu de la même manière.
Même s’il n’est pas facile de faire reposer nos conclusions sur l’incertitude, il s’agit parfois de la meilleure option.
Au lieu de croire que vous vous ennuierez à cette soirée pleine d’invités que vous ne connaissez pas, allez-y plutôt et vous verrez bien !
Imaginez que Daniel passe une soirée avec des amis et qu’on lui présente quelqu’un.
Toute la soirée se déroule correctement, mais Daniel éprouve une certaine difficulté à communiquer avec cette personne.
Le lendemain, son souvenir global de la soirée sera peut-être désagréable si des conclusions s’imposent trop rapidement.
S’il déprécie sa nouvelle connaissance parce qu’elle lui a semblé peu agréable aux premiers abords, Daniel généralisera négativement un sujet sur lequel il manque d’informations.
Et cela l’incitera à se refermer sur lui-même lors de la prochaine rencontre.
Inversement, si Daniel conclut que la personne ne l’a pas apprécié, il retournera inutilement contre lui-même les signes insuffisants qu’il a recueillis au cours de la soirée.
Tout en lui évitant de s’engager dans l’une ou l’autre de ces deux sombres avenues, le recadrage procurera à Daniel plusieurs éléments alternatifs d’explication: la personne était peut-être gênée, fatiguée, mal à l’aise dans le groupe ou même charmée !
Et la liste pourrait encore s’allonger…
Même un court recadrage vous placera devant plusieurs nouvelles explications.
On constate qu’un jugement qui n’est plus basé sur un manque d’éléments peut nous éviter des interprétations trop rapides susceptibles de teinter négativement nos pensées.
Cultiver sainement son esprit critique
Le désir de donner un sens à tout ce qui nous arrive est un besoin fondamental et, sans même nous en apercevoir, nous élaborons des explications peu fiables auxquelles nous adhérons souvent avec conviction.
J’ai eu l’occasion d’observer à de trop nombreuses reprises des gens qui préféraient s’en tenir à des conclusions farfelues plutôt que de rechercher la validité.
Des études statistiques portant sur l’opinion publique illustrent ce phénomène avec éloquence.
Aux États-Unis, 40% des gens préfèrent que l’on enseigne le dogme créationniste aux enfants plutôt que la théorie de l’évolution1.
En Angleterre, 64% des gens croient à la perception extrasensorielle, 54% à la télépathie, 30% aux pouvoirs des rêves de prédire le futur et 20% se fieraient aux conseils d’un astrologue connu si la terre était sur le point de heurter une comète2 !
Au lieu de généraliser ou de vous fier à un douteux rapport de cause à effet, vous disposez dorénavant de ressources accrues pour faire face à vos propres erreurs de raisonnement.
Le souvenir de vos succès, vos notes ainsi que les autres moyens que vous trouverez constitueront une banque de solutions possibles à laquelle vous irez puiser lorsqu’une situation problématique se présentera.
Il n’y a pas d’âge pour commencer à se refermer sur soi-même, pour croire en sa seule et déficiente vérité.
Autant il nous est toujours possible d’apprendre et de changer pour le mieux, autant des attitudes positives disparaissent parfois au profit d’autres, plus négatives.
À partir de maintenant, votre responsabilité consiste à identifier les occasions où vous vous refermez inutilement afin, préférablement, de rectifier votre comportement en prenant l’initiative de changer.
Devant les multiples facettes de la réalité, l’être humain préfère se réfugier dans la sécurité de ses croyances.
Aux prises avec un intense besoin d’expliquer, il semble trouver moins angoissant de se fier à des conclusions erronées que de vivre dans l’indétermination.
Mais d’où provient ce si fort désir d’expliquer et quel rôle joue-t-il ?
L’incompréhension de l’être humain devant le monde constitue une grande source d’anxiété: le fait d’être incapable de prévoir l’avenir souligne sa vulnérabilité face aux événements désagréables qui peuvent survenir.
Dans ce contexte, ne pas conclure revient à adopter une attitude presque dangereuse.
Mais notre besoin de prévoir nous fait oublier un détail important: Il ne suffit pas de trouver une explication, encore faut-il que cette explication décrive la réalité !
Ainsi, il sera plus approprié de nous abstenir de conclure lorsque nous n’en avons pas les moyens plutôt que de trouver une explication précise mais fausse.
Les processus cognitifs se sont développés pour favoriser notre adaptation à l’environnement, mais notre environnement change très vite.
S’il est toujours judicieux de considérer un fauve comme dangereux, la civilisation a fait en sorte que de nombreux autres « anciens » comportements sont maintenant inadaptés.
Par exemple, lorsque nous prenons la parole en public, notre corps produit toujours l’adrénaline nécessaire pour nous défendre.
Notre vie n’est pourtant pas menacée.
Nous tendons donc fortement à reproduire les événements plaisants et à interpréter toujours de la même manière.
Ce puissant désir d’expliquer ce qui nous dépasse a fondé les mythes et les rituels.
Depuis la nuit des temps, nous nous posons les mêmes questions sur les raisons de notre existence sur terre, sur le fonctionnement de l’univers et sur la mort.
En répondant à ces questions malgré l’absence presque totale d’informations, nous ne cherchons qu’à nous rassurer devant notre vertigineuse incompréhension.
De la même manière, définir une vie régulière et l’installer sur des croyances immuables vise aussi à nous réconforter.
De là proviennent la grande résistance des habitudes et la crainte de la nouveauté, des attitudes qui s’expriment plus ou moins fortement selon les gens.
Il existe encore plusieurs choses que nous ne pouvons pas comprendre aujourd’hui.
Qu’y a-t-il au-delà de l’univers ?
Comment fonctionne notre conscience ?
Comment un chat ronronne-t-il…
Et si, comme pour nos ancêtres qui proposaient des explications que nous trouvons aujourd’hui amusantes, c’était simplement parce que nous ne comprenons pas encore ce que nous tentons d’expliquer ?
Par exemple, les Grecs de l’Antiquité voyaient dans le soleil le dieu Hélios traversant chaque jour le ciel sur son char de feu.
Même si nous savons que ceux qui nous ont précédés expliquaient de manière naïve ce que nous comprenons aujourd’hui, nous continuons à inventer des hypothèses abracadabrantes.
Qu’il s’agisse d’anges, de l’esprit des personnes décédées ou même d’extraterrestres, de nombreuses explications servent à justifier des expériences étranges, comme des visions ou l’impression d’une présence immatérielle tout près de nous.
Nous pourrions attendre un peu avant de forger des hypothèses séduisantes mais résolument impossibles à prouver…
Grâce au travail du docteur Michael Persinger3, nous commençons à comprendre que de simples variations géomagnétiques pourraient troubler le fonctionnement normal du cerveau et induire de telles impressions.
Ce chercheur a même reproduit en laboratoire des expériences dites « paranormales » chez plusieurs personnes à l’aide d’électrodes qui émettaient de petits champs magnétiques sur le lobe temporal droit.
Pour tirer un véritable profit du recadrage, le plus difficile consistera parfois à composer avec un certain degré d’incertitude.
Au lieu de vivre machinalement, il s’agira de voir les événements à travers le filtre d’une sage curiosité.
Et ce choix vaudra toutes les peines du monde, puisqu’il sera la source d’une harmonie qui progressera en même temps que notre capacité à nous adapter !
Si cet article vous a plu, sachez qu’il est tiré de mon livre Petit traité antidéprime. Vous pouvez vous le procurer en version ebook pour le lire en entier.
Références
- GALLUP, G. Jr. (2000), Gallup poll public opinion 1999, Wilmington, Scholarly Resources Inc.
- HASTINGS, E. H. and P. K. Hastings (1999), Index to International Public Opinion 1997-1998, Westport, Greenwood Press.
- PERSINGER, M. A. (2001), «The neuropsychiatry of paranormal experiences», in Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences, vol. 13, number 4, p. 515-523.
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