Ce texte est l’un des chapitres de ma fable de développement personnel Le crapaud et le prince qui ne se trouvait pas charmant dont le contenu est accessible sur mon site. Voici la suite du chapitre précédent.
Nos trois amis voyageaient par monts et par vaux depuis quelques jours et le paysage se transformait majestueusement à mesure qu’ils avançaient.
En peu de temps, ils avaient traversé des montagnes, un tout petit désert et même un immense centre commercial.
Le soleil commençait une fois de plus à décroître sur l’horizon.
Au terme de leur quatrième journée de voyage, ils auraient bien aimé trouver un endroit agréable offrant le gîte, le couvert et le bain de pieds.
Malheureusement, ils se trouvaient à la lisière d’une forêt profonde et le chemin qu’ils poursuivaient s’y enfonçait inexorablement.
Sven qui avait la trompe quelque peu baladeuse aimait renifler les fleurs et les fougères qui poussaient en bordure du chemin.
Soudain, nos amis entendirent un cri:
– Aïe ! Mais qu’est-ce que c’est ?
La trompe de Sven reniflant le parfum d’une fleur avait dérangé ce qui semblait être un papillon qui s’envolait à la hauteur de leurs yeux.
Mais à y regarder de plus près, il s’agissait plutôt d’une fée.
– Fais attention où tu mets ton gros nez ! J’ai failli tomber de la fleur !
– Mille excuses, madame, fit l’éléphant tout penaud.
– Qui êtes-vous ? reprit la fée.
– Nous ne sommes que de simples voyageurs en quête d’un endroit où passer paisiblement la nuit, dit le prince. Et vous ?
– Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis la fée des dents ! Ah, mais non, suis-je bête, vous ne pouvez pas me reconnaître puisque je viens toujours chercher les dents lorsque les enfants sont endormis…
– Et moi, je n’ai pas de dents, précisa le crapaud.
– Je vous crois, car je ne suis jamais allé chercher de dents de crapaud. Mais laissez-moi vous mettre en garde mes pauvres amis. Vous ne trouverez ni gîte ni réconfort dans cette forêt ! Il se trouve que ma belle-sœur m’a raconté qu’une amie avait vu à la télé qu’une horrible sorcière habite les lieux !
– Une sorcière ! s’écria Sven dont le teint passa tout à coup du bleu au rose.
– Oui, une terrible sorcière qui mange les enfants, paraît-il. Les deux derniers à s’être fait prendre sont Hansel et Gretel, un frère et une sœur.
– Ah bon, les enfants peuvent entrer dans les ordres maintenant ? interrogea Sven. Je ne savais pas qu’il y avait des religieux d’aussi bas âge…
– Mais non, coupa le crapaud, ils étaient de la même famille !
– Oups… Et le rose de l’éléphant vira de nouveau au cramoisi. Je vais me tourner la trompe sept fois avant de parler la prochaine fois, c’est promis.
– Alors messieurs, vous êtes mieux de rebrousser chemin si vous ne voulez pas qu’il vous arrive malheur.
– Rassurez-vous, madame la fée, nous sommes imperméables au malheur, n’est-ce pas mes amis ? demanda le crapaud.
Un lourd silence se fit entendre. Le crapaud répéta, plus fort:
– N’EST-CE PAS MES AMIS ?
– Ouii, ooui… dirent en chœur le prince et l’éléphant d’une voix hésitante.
– Comme vous voulez, répondit la fée. Au moins je vous aurai prévenus. Je dois maintenant vous quitter car mon quart de travail va bientôt commencer. J’ai une longue liste de dents à aller chercher cette nuit.
– C’est ça, et vous saluerez le père Noël de notre part ! dit Sven qui se trompait de fable…
La fée s’envola à grande vitesse et laissa seuls nos trois compagnons à l’orée de la forêt.
La pénombre accentuait ses effets lugubres et ne rendait pas le chemin très attrayant.
– Tu es sûr que nous ne pouvons pas suivre une autre route, Crapaud ? supplia le prince. On pourrait au moins dormir ici ce soir et traverser la forêt demain, en plein jour ?
– Et pourquoi n’irions-nous pas demander le gîte et le couvert à cette fameuse sorcière ? répondit le crapaud.
– Quoi ! Mais tu es fou ! s’écrièrent d’une seule voix le prince et l’éléphant.
– Ne faisons-nous pas tout ce chemin pour aller combattre un horrible dragon ? Dans ce cas, une sorcière ne sera qu’un avant-goût, une merveilleuse occasion d’exercer votre courage… Et il est fort possible que la fée se trompe. Il ne faut pas toujours écouter ce que disent les rumeurs. Moi par exemple, si j’avais suivi les conseils de plusieurs personnes, je n’aurais jamais pris de cours de chant et je n’aurais jamais connu le succès que j’ai à mon étang. J’ai endisqué plusieurs fois vous savez…
– Oui oui, bon. Mais si c’était vrai ? Personnellement, j’ai envie de manger un bon repas et non pas de faire office de repas… dit le prince.
– La fée n’a-t-elle pas dit que la sorcière mangeait des enfants ? Elle ne devrait donc pas vouloir nous manger…
– Et si elle avait envie de goûter à l’éléphant ? s’enquit Sven avec frayeur.
– N’oubliez pas mes amis: qui ne risque rien n’a rien. Vous ne sortirez pas de vos sentiers battus si vous ne faites rien de nouveau. Vous n’exercerez pas votre courage si vous fuyez devant la peur, surtout lorsque vous n’êtes même pas sûrs du danger. Et vous n’obtiendrez rien de satisfaisant de la vie si vous vous sauvez à la première occasion d’avancer. Nous marchons depuis des jours, mais ce soir, c’est à l’intérieur de vous-mêmes que vous cheminerez ! Prince, n’oublie pas les raisons pour lesquelles tu as décidé d’entreprendre ce voyage. Il s’agit d’abord d’un voyage intérieur qui vise à rétablir ta confiance et à te rendre heureux. Et je crois que Sven partage cet objectif.
Le prince avait bien gagné tous les duels contre les autres princes lorsqu’il avait organisé le tournoi à son château.
Mais il ne s’était jamais frotté au danger réel.
Quant à Sven, on ne peut pas dire que le courage était sa qualité première, à en juger à la superbe couleur rose qu’il arborait toujours.
– Et n’oubliez pas, reprit le crapaud, je suis magique et je vous protégerai. Vous n’avez donc rien à craindre de la sorcière.
– Tiens, comme c’est pratique ! s’écria Sven qui ne connaissait pas les pouvoirs fabuleux du batracien. Est-ce que tu peux faire de la lumière aussi ?
– Non, là s’arrêtent mes pouvoirs. Allons, avançons…
Le prince s’assit sur Sven, sa fougueuse monture.
Ce dernier, n’écoutant que son courage (qui restait plutôt silencieux), fit un pas, puis un autre, et reprit la route de son pas habituel.
Nos amis s’enfoncèrent dans l’épaisse forêt tandis que la nuit terminait d’étendre son empire obscur tout autour d’eux.
Il faisait noir comme dans un four, comme dans le four d’une sorcière…
Après quelques minutes, ils aperçurent une lueur droit devant eux, tout près d’une clairière.
L’air se mit également à embaumer le pain et les gâteaux, comme si une pâtisserie avait pignon sur rue tout près.
Cela eut pour effet d’aiguiser davantage l’appétit de nos amis qui n’avaient pas pris de repas depuis un bon bout de temps.
Pensant davantage à son estomac qu’à sa peur, Sven pressa le pas et nos trois amis se retrouvèrent bientôt devant une bien appétissante maisonnette.
Son toit était fait de pain d’épices tandis que ses murs étaient recouverts de gâteaux et d’autres sucreries.
– Cela doit être la maison de la sorcière, conclut le crapaud. Lequel d’entre vous veut cogner à la porte pour lui demander l’hospitalité ?
– Je, je veux bien essayer, dit Sven d’une voix mal assurée.
Avec sa trompe, il cogna trois coups, trois coups qui retentirent de manière sinistre…
Des pas se firent entendre derrière la porte qui s’ouvrit doucement dans un doux grincement.
Le prince et l’éléphant retinrent leur souffle jusqu’à ce qu’ils voient le visage réjoui d’une sympathique vieille dame dans l’embrasure de la porte.
– Tiens, tiens, tiens. Quelle jolie compagnie le vent m’apporte-t-il ? Des voyageurs fourbus qui cognent à ma porte ! Cela faisait si longtemps que ça ne m’était arrivé ! Entrez messieurs, entrez. Je m’appelle Hortense.
Surpris par tant de bonhomie de la part d’une « horrible sorcière », nos amis ne surent comment refuser cette cordiale invitation.
Hortense les invita à prendre place à sa table et leur servit un plantureux repas qui leur réchauffa le cœur.
Après le repas, Sven, toujours surpris de la situation, ne put s’empêcher de demander:
– Est-ce que vous nous avez donné un si bon repas pour nous manger ensuite ?
La vieille dame ne put s’empêcher d’éclater de rire.
– Mais que me racontes-tu là ? Je suis végétarienne ! Laissez-moi deviner, quelqu’un vous a raconté que j’étais une sorcière qui mange les enfants ?
– En effet, précisa le prince. N’est-ce pas le cas ?
– Bien sûr que non ! Je ne suis qu’une gentille vieille dame qui voulait faire plaisir aux enfants en leur confectionnant des gâteaux et des sucreries. J’ai étudié la pâtisserie dans de prestigieuses écoles et je suis membre de la Fédération des entreprises de boulangerie et pâtisserie françaises vous savez. Non, l’histoire de cette réputation de sorcière vient de la méchante petite fée des dents. Elle croyait que j’allais carrier la bouche de tous les enfants avec mes sucreries et qu’elle perdrait son emploi. Elle a alors colporté d’horribles sornettes à mon sujet. Elle avait une dent contre moi…
– Oui, de quoi faire frémir le plus courageux des princes et des éléphants, dit le crapaud d’un ton goguenard en adressant un regard en coin à ses compagnons.
– Parfaitement ! reprit Hortense. Bien rares sont les voyageurs comme vous qui cognent encore à ma porte. Et je n’ai plus vu d’enfants depuis belle lurette… Depuis plusieurs années, ma vie a perdu son sens et je souffre d’une profonde solitude. Heureusement que vous êtes passés ce soir, je commençais à dépérir ainsi toute seule.
– Nous sommes désolés de ce qui t’arrive, dit Sven d’un air compatissant. Finalement, c’est la fée des dents qui ressemble à une sorcière. Elle ment comme une arracheuse de dents…
Le crapaud réfléchissait depuis quelques minutes à la manière dont il pourrait trouver quelque chose de constructif à retenir de la situation.
C’était une habitude qu’il avait prise depuis longtemps, pour « pratiquer son introspection », comme il disait.
Lorsqu’il eut rassemblé ses idées, il sauta au milieu de la table sans se mettre les pieds dans les plats.
Il s’adressa alors à ses compagnons:
– Vous voyez combien il ne faut pas se fier aux apparences ? Dans la vie, vous apprendrez une grande quantité de choses de différentes manières. Mais n’oubliez pas que seule compte la bonne vieille réalité. Vous êtes souvent mieux de vous frotter à la réalité plutôt que de vous fier aux ouï-dire. Notre imagination et nos peurs forment souvent un cocktail explosif digne de nous rendre malheureux ou de porter préjudice aux autres. Si vous écoutez votre imagination et vos peurs au lieu de vous fier à la réalité, vous vivrez bien des tourments. Autrement dit, apprenez à réviser vos opinions et à ne pas vous laisser tromper trop facilement par les apparences. Ce sera le meilleur moyen de grandir. Comme disait Mark Twain, on peut avoir des milliers de problèmes dans la vie, mais la plupart ne se produiront jamais en réalité…
– Qui c’est, Mark Twain ? demanda Sven.
– Ça, c’est une autre histoire… conclut le crapaud. Je te raconterai plus tard.
Nos amis passèrent donc une fort sympathique soirée en compagnie d’Hortense, la fausse sorcière.
Elle les hébergea pour la nuit et ils se levèrent au petit matin, frais et dispos, presque prêts à affronter tous les dragons du monde.
Après le petit-déjeuner, ils remercièrent chaleureusement Hortense en lui promettant de revenir la visiter très vite dès que leur mission serait terminée.
Puis, ils reprirent la route le cœur joyeux.
Le crapaud, toujours confortablement installé sur la couronne du prince, se trouvait haut perché.
Rêvassant, il ne put s’empêcher de prendre une fois de plus la parole.
– Vous voyez mes amis comme les événements tournent bien lorsque nous nous donnons la peine de nous concentrer sur ce que la vie a d’agréable à nous offrir ? Si nous avions traité Hortense en sorcière, il est probable qu’elle ne nous aurait pas reçus avec autant d’hospitalité… De notre côté, nous la soulagions de sa solitude. Nous pouvons toujours considérer ce que nous apportons aux autres avant de penser à ce qu’ils peuvent nous donner. Cette attitude instaure un climat de confiance et de collaboration où tout le monde y trouve son compte. Nous pouvons ainsi toujours rechercher le bénéfice mutuel…
– Je ne vous ai pas encore remerciés mes amis, dit Sven, mais depuis que je vous ai rencontrés dans le chapitre précédent, ma vie a pris une toute nouvelle direction. J’ai maintenant comme vous l’envie d’aider tous ceux que nous allons rencontrer ! C’est beaucoup plus agréable que de ne penser qu’à mon nombril et à ma trompe.
– Je suis très heureux que tu aies envie de suivre la même voie que moi depuis que j’ai fait la rencontre de Crapaud. De mon côté, je réfléchis beaucoup depuis un moment. Il me semble que plusieurs des personnages de notre histoire se posent de grandes questions face à eux-mêmes et sont victimes de ce que les autres pensent d’eux, dit le prince. C’était mon cas et aussi celui d’Hortense… Je crois que tout cela me donne une idée, une excellente idée même… Mais je vais la laisser mijoter encore un peu avant de vous en parler.
Sur ces paroles, nos amis poursuivirent leur route en direction de l’antre du dragon, l’étape suivante et sans doute la plus périlleuse de leur voyage.
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