Nous abritons un ange que nous choquons sans cesse. Nous devons être gardiens de cet ange. (Jean Cocteau)
Dans un article précédent, nous avons vu comment de banales distorsions cognitives s’intègrent à notre identité pour détruire notre estime de soi.
Dans cet article, nous allons voir d’autres distorsions qui s’attaquent spécifiquement à notre identité…
Ces nouvelles distorsions identitaires n’en sont pas moins nocives, mais à mesure que vous apprendrez à les identifier, il vous sera de plus en plus facile de vous en libérer !
Pendant l’été de 1965, dans un hôpital de Winnipeg, au Canada, Janet Reimer réalise un grand rêve en donnant naissance à ses deux jumeaux, Brian et Bruce.
L’année suivante, les deux garçons doivent se faire circoncire à cause de la difficulté qu’ils éprouvent à uriner.
Mais la chance ne tournera pas en leur faveur.
Les médecins qui effectuent cette opération de routine choisissent une nouvelle méthode consistant à brûler le prépuce, mais l’appareil est défectueux.
À ce moment, la vie de Bruce bascule. Son pénis est si gravement brûlé qu’il le perd complètement.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais après avoir consulté sans grand espoir différents spécialistes, les parents de Bruce entendent parler du docteur John Money, de l’université John Hopkins à Baltimore, aux États-Unis.
Le docteur Money défend l’hypothèse voulant que l’hérédité ne joue aucun rôle dans le développement de l’identité psychosexuelle.
Selon lui, cette identité ne serait qu’une question de contexte social.
Après l’avoir rencontré, les parents de Bruce décident d’élever leur garçon comme une petite fille.
Et ils poursuivent cette « expérience » pendant 14 ans.
Cependant, Bruce finit par refuser de poursuivre cette existence et veut redevenir un garçon.
Les années s’écoulent ensuite sans qu’aucun problème notable ne se manifeste.
Bruce reprend confiance en lui-même et se marie.
Malheureusement, vers l’âge de 38 ans, il commence à vivre des problèmes personnels.
Sa femme le quitte et il perd son emploi. Bruce Reimer se suicide le 4 mai 2004.1
Il ne fait aucun doute que, longtemps confrontée à des expériences si contradictoires, l’identité de Bruce ait subi quelques préjudices.
Mais nous n’avons nul besoin de vivre une expérience aussi difficile pour être aux prises avec des troubles identitaires.
Précédemment, j’ai expliqué que les distorsions cognitives sont des erreurs dans notre interprétation de la réalité.
Ces mauvaises conclusions suscitent des émotions négatives et nous rendent malheureux.
Mais que se passe-t-il lorsque ces distorsions portent spécifiquement sur nous-mêmes ?
Qu’advient-il lorsqu’elles s’attaquent directement à notre identité ?
Il ne fait aucun doute que les distorsions cognitives nous donnent une bien triste opinion de nous-mêmes.
Selon nos expériences et nos manières de les interpréter, nous avons développé une identité plus ou moins riche, plus ou moins équilibrée.
Notre bien-être est étroitement relié à l’idée que nous avons de nous-mêmes.
Et chacune de nos croyances à notre sujet peut entraîner des effets négatifs comme ceux-ci:
- Nous nous comparons constamment aux autres.
- Notre opinion de nous-mêmes dépend beaucoup de l’opinion des autres.
- Nous manquons de constance dans notre manière de nous percevoir et de nous définir.
- Nous manquons de confiance en nous-mêmes et d’estime de soi.
- Nous sommes incapables de considérer le point de vue des autres.
- Nous réagissons avec impatience à différentes situations.
- Nous nous croyons supérieurs aux autres et nous les dénigrons.
Pour favoriser notre bien-être, nous devons donc améliorer la validité des croyances que nous entretenons à notre sujet, car des distorsions ont pu s’y intégrer.
Il s’agit de réaménager positivement le sens de notre identité.
Pour y parvenir, nous devons reconnaître les distorsions cognitives qui s’attaquent spécifiquement à notre identité.
C’est ce dont je vais maintenant vous parler.
Le contenu de cet article est tiré de mon ebook Qui suis-je ?, alors n’hésitez pas à le lire si vous désirez aller plus loin.
Trop concentrer son attention sur soi-même
Une distorsion très fréquente consiste à sélectionner seulement certaines informations, plutôt que d’autres, pour interpréter la réalité, dont nous n’obtenons alors qu’une vision partielle.
Sur le plan personnel, cette distorsion est nuisible, car elle nous pousse à nous concentrer sur des détails futiles à notre sujet.
Prenons l’exemple de Sylvie, qui redoute l’anxiété.
Pour cette raison, elle se concentre sur le moindre signe physique susceptible de trahir cet état chez elle.
Et la plupart du temps, son anxiété provient de cette attention inutile qu’elle porte à ces détails.
Ce sont les appréhensions de Sylvie qui occasionnent son stress.
Plus elle veut éviter l’anxiété, plus elle devient anxieuse…
Deux chercheurs en psychologie, Pyszczynski et Greenberg2, ont constaté que les personnes déprimées concentrent énormément leur attention sur elles-mêmes.
Et cela joue un rôle dans le développement de leur état dépressif.
Mais de quel genre de concentration s’agit-il ?
Cela consiste à porter une attention négative sur soi-même: Suis-je à la hauteur ?
Qu’est-ce que les autres vont penser de moi ?
La tendance à nous concentrer sur nous-mêmes ne découle pas d’une intention malsaine de notre part et se révèle habituellement inconsciente.
Il nous est donc difficile d’évaluer ses conséquences fâcheuses.
Le doute de soi renforce l’association de caractéristiques négatives à notre identité, ce qui nous fait aboutir à des conclusions comme « Je n’ai aucune valeur » ou « Je ne peux rien réussir »…
Certains contextes sont plus propres à susciter une attitude autodépréciative et à nous rendre malheureux.
Même si nous ne sommes pas déprimés, plus nous nous concentrons sur les aspects négatifs de notre identité, plus nous les soulignons, et plus nous les imprimons en mémoire.
Ce processus de répétition finit par générer des pensées intrusives négatives à notre sujet.
Ces pensées alourdissent ainsi notre humeur et nous font broyer du noir.
La peur de nous tromper ou d’être jugé nous donne aussi l’impression que les autres nous évaluent constamment comme nous nous évaluons nous-mêmes: NÉGATIVEMENT.
Dans les faits, les gens nous jugent bien moins souvent et bien moins sévèrement que nous le croyons habituellement !
Cette distorsion identitaire est également paradoxale.
En effet, ce n’est pas parce que l’on concentre beaucoup son attention sur soi-même que l’on se connaît mieux vraiment.
En fait, c’est habituellement le contraire qui se produit !
Au lieu de prendre conscience de nos véritables réactions, on appréhende des problèmes qui n’ont souvent rien de réaliste.
Par exemple, si on a peur que les autres nous trouvent stupide, on oublie que cette crainte se fonde sur des croyances incomplètes ou carrément fausses à propos de soi-même.
Le plus souvent, rien ne nous permet de savoir que les autres nous jugeront aussi sévèrement.
C’est pourquoi il est difficile de découvrir que c’est notre propre vision de soi qui nous rend malheureux.
Et si nous ne faisons rien, nous continuons de renforcer cette image négative !
Si vous avez pris l’habitude de concentrer ainsi votre attention sur vous-mêmes, changez-vous les idées !
Rencontrez des amis, faites de nouvelles activités !
Cela vous aidera à ne pas vous concentrer négativement sur votre identité3.
De cette manière, vous minimiserez progressivement les occasions où vous vous déprécierez, vous cesserez d’interpréter négativement votre vie et votre avenir.
L’égocentrisme
Comme son nom l’indique, l’égocentrisme consiste à privilégier notre avantage personnel au détriment de celui des autres et de la collectivité.
De manière primaire, cette attitude est normale.
La recherche de notre propre intérêt nous sert d’abord à subvenir à nos besoins.
Mais l’égocentrisme devient nuisible lorsqu’il se généralise et nous fait pratiquement ignorer l’existence des autres et leurs propres besoins.
Cette distorsion identitaire tend à nous faire interpréter les événements comme si le monde tournait autour de notre nombril.
C’est comme si tous les événements devaient seulement répondre à nos désirs !
Ce point de vue nous fait ignorer les intérêts des autres.
Pourtant, nous avons avantage à accepter que les événements se déroulent indépendamment de nos intérêts et que les autres agissent selon leurs propres valeurs.
Cela nous aide à nous adapter et à améliorer nos conditions de vie.
Par exemple, si Julien s’attend à ce que France, sa compagne, lui réserve constamment des petites attentions, il sera contrarié si elle l’ignore quelque peu…
Julien éprouvera de la déception chaque fois qu’il constatera que France a ses propres activités et d’autres intérêts que les siens.
Mais si, au contraire, il accepte France dans tout ce qu’elle est, non seulement il développera une relation harmonieuse avec elle, empreinte de respect, de confiance et de liberté, mais il ne s’épuisera pas à combattre une situation tout à fait normale !
Ainsi, lorsque la poursuite de nos fins nuit au bonheur des autres, nous pouvons élargir notre point de vue.
Car nous obtenons toujours plus à collaborer et à apprendre des autres qu’à rechercher seulement notre avantage personnel !
L’anticipation de fausses menaces
Il est normal de réagir avec intensité pour nous protéger des expériences désagréables.
Mais il est absolument inopportun de réagir de la même manière lorsque les menaces ne sont pas réelles !
Si l’imagination nous permet de créer de splendides œuvres d’art, elle nous permet également d’imaginer le pire même lorsqu’il n’existe pas !
Les réactions physiologiques que suscitent nos fantasmes sont parfois plus fortes et d’une durée plus longue que lorsque les menaces sont bien réelles.
Par exemple, en 1954, même si cette étude date, les chercheurs Fritz et Marks4 ont constaté que les personnes qui disposaient d’une longue période pour se préparer avant le passage d’une tornade étaient plus perturbées que si la tornade les prenait par surprise.
À la suite de divers incidents fâcheux, nous développons parfois sans le savoir la peur d’être brimés, agressés ou humiliés.
La pire ennemie, dans ce cas, c’est notre imagination.
Nous nous effrayons de diverses situations sans même qu’elles se produisent.
Nous surestimons aussi les risques que des désastres se produisent même lorsque ces événements semblent irréalistes.
Par exemple, les personnes anxieuses croient qu’il est parfaitement plausible que des catastrophes se produisent.
Mais elles fondent leurs croyances sur des explications boiteuses.
Et lorsque les événements appréhendés ne se produisent pas, cela ne diminue pas leurs convictions pour autant.
Il ne s’agit que d’une chance passagère, se disent-elles !
Bien sûr, toutes nos craintes ne sont pas aussi graves qu’une catastrophe, mais elles découlent du même phénomène.
En fait, n’appréhendons pas un danger réel, mais plutôt l’idée négative que nous nous en faisons.
Par exemple, Chloé a été souvent méprisée pendant sa jeunesse et elle est maintenant effrayée à l’idée de parler en public.
Sa peur découle des émotions et des souvenirs douloureux qui sont reliés à ses expériences humiliantes.
Pourtant, au moment de parler en public, Chloé n’a pas à craindre pour sa vie !
Si elle affronte sa peur, avec les années, de nouvelles expériences, grandissantes celles-là, prendront la place de ses mauvais souvenirs.
Elle deviendra plus confiante.
Le cas des personnes qui ont une faible estime de soi constitue un autre exemple.
Ces gens ont tendance à interpréter les paroles des autres littéralement, c’est-à-dire au premier niveau de leur signification.
Prenons cette fois-ci l’exemple de Jacqueline. Imaginez que, pour la taquiner, ses amis lui disent qu’elle est maladroite.
Au lieu de n’y voir qu’une taquinerie, Jacqueline multiplie les explications pour montrer qu’elle n’est pas telle que les autres la décrivent.
Elle a donc interprété les paroles de ses amis comme de vraies critiques à son endroit.
Elle se justifie donc, pour rien, et cette réaction suscite de l’étonnement et de l’incompréhension de la part de son entourage.
Le problème, lorsque nous redoutons de fausses menaces, c’est que la nature dangereuse de ce que nous appréhendons n’est pas réelle !
L’histoire de mon doigt cassé (alors qu’il ne se trouvait pas dans mon nez) |
Je peux vous dire que pareille mésaventure m’est arrivée en 2003 lorsque je me suis cassé un doigt.
Je pensais qu’il était seulement foulé, mais lorsqu’à l’hôpital, radiographie en main, le médecin m’a dit qu’il était cassé et qu’il devrait m’opérer, mon visage est passé rapidement de sa couleur normale, au blanc, au vert puis au gris. L’opération ne pouvait avoir lieu que quatre jours plus tard. Quatre jours ! Ce fut l’une des plus pénibles attentes de ma vie ! Le matin de l’opération arriva (je n’avais pas réussi à dormir la nuit d’avant). Puis, l’opération débuta… et se termina. Tout se déroula très bien, et je n’ai pas souffert. La morale de cette histoire ? La plus grande souffrance de cette fracture a été entre mes deux oreilles, pendant les quatre jours d’attente. Ce que j’appréhendais ne s’est jamais produit, et je me suis fait souffrir pour rien. Mon imagination a été ma pire ennemie, car elle a suscité un haut niveau d’anxiété, pour rien du tout. |
Ce genre de craintes, je ne suis pas le seul à pouvoir les vivre.
Elles proviennent de l’interprétation que nous faisons des événements à travers les souvenirs flous de nos expériences passées ou d’images horribles que nous nous inventons.
Des recherches sur le fonctionnement de la mémoire ont d’ailleurs démontré que la validité de nos souvenirs laisse souvent à désirer, surtout s’ils ne sont pas récents.
Nous mélangeons nos souvenirs entre eux et nous leur ajoutons une teinte émotionnelle parfois aussi intense que l’angoisse.
Nous y mêlons même des informations étrangères qui proviennent de nos activités quotidiennes5 !
Lorsque nous anticipons une menace, nous pouvons essayer de savoir si elle est irréaliste.
Nous pouvons aussi nous demander: Et même si cela se produisait, serait-ce aussi grave que je le pense ?
Lorsque nous les laissons entrer en contact avec la réalité, nous constatons souvent que nos angoisses ne sont pas vraiment fondées.
Nous retirons même de la satisfaction à affronter les situations que nous évitons habituellement.
En fait, affronter les fausses menaces constitue un bon moyen d’atténuer la peur et le manque de confiance qu’elles nous inspirent.
Lorsque nous nous retrouvons dans une situation humiliante, ridicule ou même effrayante, il est toujours plus constructif d’affronter la réalité.
Nous nous donnons ainsi la preuve que nous n’avions pas de raisons d’avoir si peur…
Être réactif et défensif
Il est tout à fait normal de défendre notre intégrité et notre identité.
Le problème surgit lorsque nous défendons les facettes néfastes de notre personnalité et que nous nous fermons à la possibilité de les réviser.
Cette attitude nous nuit et brime souvent les autres.
Lorsque notre identité souffre d’un déséquilibre, nous doutons de notre valeur et nos émotions sont facilement sollicitées.
Cet état nous fait réagir avec agressivité et nous empêche de tenir compte des informations plus valides qui rééquilibreraient notre identité.
Ainsi, lorsque nous constatons que certaines de nos attitudes sont néfastes, nous tendons habituellement à les défendre et à les nier au lieu d’essayer de nous améliorer.
Et nous employons les moyens de défense les plus divers pour y parvenir: justifications, déni de nos attitudes négatives, agressivité, etc.
Ces réactions engendrent de fâcheuses conséquences qui vont de la dépression au rejet social.
Et tout cela n’entretient guère notre bien-être…
La distorsion qui se cache derrière la réactivité consiste à nier notre valeur personnelle.
Un remède à cette tendance consiste donc à cesser de nous évaluer négativement.
De toute manière, qui peut prétendre déterminer la valeur d’une personne ?
Il est beaucoup plus constructif, par exemple, de rechercher les souvenirs de l’amour et de l’acceptation des autres.
Mais, globalement, il est préférable de développer une identité plus équilibrée en s’autoévaluant moins.
J’approfondirai ce sujet plus loin.
La faible tolérance à la frustration
La faible tolérance à la frustration est directement reliée à la réactivité.
Elle se manifeste notamment par de l’irritabilité, de l’agressivité et un manque général de patience.
Il est normal que nous tentions d’éviter les sources de déplaisir puisque le déplaisir est une émotion désagréable à vivre.
Cependant, une faible tolérance à la frustration nous fait réagir avec excès même devant de tout petits désagréments !
Et cela ne nous aide pas à nous améliorer.
Car la tolérance aux déconvenues nous aide à comprendre les événements au lieu de seulement y réagir.
La faible tolérance à la frustration sabote nos initiatives, puisqu’il est difficile de persévérer lorsqu’on est en colère.
Cette attitude inadaptée nous empêche de réaliser des projets à long terme et d’aménager un contexte de vie agréable.
Elle nous empêche aussi d’accepter ce que nous ne pouvons pas changer, car elle canalise notre énergie vers l’agressivité et nous détourne de nos buts.
Nous en arrivons à ne plus pouvoir nous satisfaire de quoi que ce soit.
Finalement, cet état entretient la culpabilité, la déception et l’agressivité, en plus de nous pousser fréquemment à la confrontation avec les autres.
Les explications fallacieuses qui justifient nos déséquilibres
Nous utilisons souvent différentes explications pour justifier nos réactions inadéquates, ce qui entretient nos déséquilibres.
Par exemple, Bernard a tendance à nier sa part de responsabilité lorsqu’il vit des conflits.
C’est toujours la faute des autres, prétend-t-il…
Pour se protéger, Bernard évite de se remettre en question et trouve toujours des causes extérieures à ses problèmes.
Il refuse de chercher en lui les attitudes ou les paroles qui sont inappropriées et croit que seuls les autres sont responsables.
Le cas de Bernard n’est pas exceptionnel, puisque nous avons tous tendance à protéger notre identité et à justifier nos actions.
Ce processus est très rapide.
Nous omettons de considérer que nous sommes souvent responsables de nos problèmes, du moins en partie.
Malheureusement, cette tendance nous laisse inconscients des ressources dont nous disposons pour endiguer notre souffrance.
Nos processus psychologiques nous portent aussi à confirmer nos hypothèses.
Par exemple, si je suis déjà convaincu que je ne possède pas de valeur personnelle, je me concentrerai sur mes échecs et j’ignorerai complètement mes succès.
Pourtant, le souvenir de mes réussites contredirait la vision erronée que j’ai de moi-même.
Voilà de quelle manière nous procédons souvent pour justifier nos déséquilibres identitaires.
Les conclusions arbitraires
Lorsque nous interprétons les événements quotidiens, nous omettons souvent de réviser nos explications à la lumière des faits réels.
Brigitte procède exactement de cette manière lorsqu’elle vit un échec et qu’elle conclut qu’elle ne réussira rien de bon.
Elle utilise contre elle-même sa propre pensée.
Brigitte généralise la situation et croit que son échec signifie qu’elle ne réussira jamais rien.
Elle se dit que, parce qu’elle a vécu un échec, elle est condamnée à échouer continuellement.
Plutôt que de conclure au pire, Brigitte aurait avantage à rechercher plus d’informations.
Elle pourrait ainsi apprendre à mieux se connaître et trouverait même des preuves bien réelles qu’elle peut réussir ce qu’elle entreprend.
Les raisonnements circulaires
La manière dont nous raisonnons nous empêche parfois tout simplement de réfléchir.
C’est le cas des raisonnements circulaires, car ils se prennent eux-mêmes pour objet !
Par exemple, Lise affirme qu’elle ne peut pas réussir une activité qu’elle n’a jamais réalisée simplement parce qu’elle ne l’a jamais réalisée.
Elle s’enferme ainsi dans une impasse qu’elle a elle-même créée !
Tant que Lise ne sort pas de son raisonnement circulaire, elle se confine à une conclusion fondée sur aucune information réelle et elle se coupe de toute possibilité d’augmenter sa confiance.
Les conclusions simplistes et excessives
Il existe d’autres manières de refuser d’apprendre et de se fermer à la nouveauté.
C’est ce qui se produit lorsque nous formulons des conclusions absolues et simplistes.
Vous pouvez aussi voir à ce sujet les fausses croyances sur nous-mêmes et sur la vie.
Si Isabelle croit qu’elle doit toujours réussir avec brio tout ce qu’elle entreprend, elle sera anxieuse à la seule idée d’échouer.
Cette appréhension la convaincra peut-être de ne pas se risquer à entreprendre de nouvelles activités. Car elle ne peut pas échouer ce qu’elle ne fait pas…
Ces conclusions simplistes prennent aussi la forme de pensées « magiques » dont la signification est proprement irrationnelle.
Par exemple, lorsque nous devons appeler une personne importante et que nous ne le faisons pas, il est plutôt sommaire de dire « Je ne l’appelle pas parce que j’ai l’impression que je le dérangerais ».
Nous ne disposons d’aucune preuve tangible, et le fait de ne pas l’appeler peut, au contraire, nous éloigner d’elle…
Se convaincre soi-même
Enfin, nous sélectionnons souvent les informations de manière à attribuer de mauvaises causes à nos problèmes.
Nous devenons ainsi prisonniers de nos propres convictions, car nous recherchons seulement les preuves qui les corroborent.
Cette manière figée d’interpréter nous fait expliquer une fois pour toutes les événements.
Il semble alors qu’il n’y ait plus d’autres possibilités à nos yeux !
Les pensées déprimantes suscitent d’ailleurs ce genre de sentiment d’emprisonnement.
Elles nourrissent la conviction que nous ne pouvons rien accomplir et entretiennent un contexte de vie triste et stérile.
Il se produit le même phénomène avec l’envie.
La personne ou la situation que nous envions nous donne l’impression que nous sommes inférieurs, parce que nous estimons que nous devrions être autrement.
Pire, nous accordons plus de valeur aux gens auxquels nous nous comparons.
Nous concluons ensuite que nous manquons de valeur ou de capacités.
Nous concentrons notre attention sur ce que nous ne sommes pas.
Cela nous condamne à la tristesse et à la stagnation au lieu de nous motiver à agir et à nous dépasser.
Nous pouvons plutôt nous accepter et tenter de nous améliorer dans les limites de ce que nous sommes plutôt que de nous imaginer de manière stérile à la place des autres…
Voici un tableau qui résume toutes les distorsions cognitives spécifiquement identitaires que nous venons de voir:
Trop concentrer son attention sur soi-même |
Cette distorsion consiste à porter une attention inutile à nous-mêmes et à croire que les autres nous évaluent aussi négativement que nous le faisons. |
L’égocentrisme |
C’est la tendance à penser seulement à nous-mêmes au point de considérer bien peu les autres et la collectivité. |
L’anticipation de fausses menaces |
Il s’agit d’une anticipation excessive qui vise à nous protéger de dangers que nous exagérons ou qui n’existent tout simplement pas. La réaction anxieuse ne découle donc pas d’une menace réelle mais plutôt de l’idée exagérée que nous nous en faisons. |
Être réactif et défensif |
Cette distorsion nous fait imaginer des affronts là où il n’y en a pas et nous rend agressif dans le but de défendre nos déséquilibres. Tout comme le manque d’estime de soi, la réactivité implique une grande susceptibilité. |
La faible tolérance à la frustration |
Liée à la distorsion précédente, la faible tolérance à la frustration rend les efforts et les désagréments insupportables. Elle se manifeste, entre autres, par de l’irritabilité et un manque de patience. Cette distorsion nous empêche de réaliser des projets à long terme et de faire les efforts nécessaires pour aménager un contexte de vie agréable. |
Les explications fallacieuses qui justifient les déséquilibres |
Ces distorsions consistent à attribuer de mauvaises explications à nos problèmes. Elles se manifestent de plusieurs manières. |
Les conclusions arbitraires. Nous omettons de considérer nos hypothèses à la lumière de la réalité et nous expliquons les événements en nous satisfaisant de n’importe quelle raison. |
Les raisonnements circulaires. Ce sont des raisonnements qui se prennent eux-mêmes pour objet, c’est à dire que leur conclusion devient leur cause. Par exemple, « Je me sens anxieux parce que j’ai peur de devenir anxieux. » |
Les conclusions simplistes et excessives. Ces conclusions prennent la forme de règles absolues qui ordonnent nos comportements. Elles sont inflexibles et, par le fait même, constituent une source de culpabilité qui nuit à la satisfaction. Ces conclusions peuvent également être simplistes au point de prendre la forme de superstitions et de pensées magiques. Par exemple, « Je sais qu’un miracle va se produire et va changer tout ce qui me déplaît dans la vie ! » |
Se convaincre soi-même. Il s’agit d’utiliser des explications insuffisantes pour justifier nos attitudes destructrices envers nous-mêmes et envers les autres. |
Harmoniser sa vision de soi !
Comme vous le constatez, nos distorsions cognitives s’acharnent souvent contre notre identité.
Pour contrer leurs effets dévastateurs, nous pouvons commencer par accepter notre responsabilité dans nos problèmes, car nous possédons tous un réel contrôle sur notre vie.
En nous responsabilisant, nous augmentons significativement notre capacité à améliorer l’issue des événements.
Des recherches ont d’ailleurs démontré qu’une thérapie était plus fructueuse lorsque les patients s’attribuaient les améliorations à eux-mêmes (cause intérieure) plutôt que de les attribuer à un médicament (cause extérieure).6
Par contre, il faut veiller à ne pas trop nous responsabiliser lorsque des événements négatifs surviennent.
C’est ce qui nourrit la culpabilité et l’autodénigrement.
Quel que soit le problème, vous pouvez toujours remettre en question vos interprétations pour vous assurer qu’elles sont valides au lieu de simplement chercher à confirmer vos attentes.
Vous nuancerez ainsi progressivement votre manière d’interpréter la réalité, de vous évaluer vous-même et d’entrer en relations avec les autres.
Cette attitude constructive vous aidera à mieux vous connaître et à améliorer les conditions générales de votre vie.
Au-delà des distorsions spécifiquement identitaires dont il a été question dans cet article, n’oubliez pas que n’importe quelle interprétation devient une distorsion identitaire lorsque nous dirigeons de fausses conclusions contre nous-mêmes.
Dans le prochain article, nous verrons que les distorsions identitaires ne font pas que nous nuire à nous-mêmes, mais qu’elles causent parfois un tort irréparable aux personnes qui nous sont chères…
Références et suggestions de lectures
- John Colapinto raconte l’histoire de Bruce Reimer dans son livre intitulé L’histoire du garçon que l’on transforma en fille. Il s’agit d’une histoire dramatique dont je vous recommande néanmoins la lecture.
- PYSZCZYNSKI, T.; Greenberg, J. (1987), « Self-regulatory perseveration and the depressive self-focusing style: A self-awareness theory of reactive depression », Psychological bulletin, 102, 122-138.
- Des recherches ont d’ailleurs démontré que les tendances négatives des personnes déprimées diminuent à mesure qu’elles cessent de se concentrer sur elles-mêmes. Voir PYSZCZYNSKI, T.; Holt, K.; Greenberg, J. (1987), « Depression, self-focused attention, and expectancies for positive and negative future life events for self and others », Journal of personality and social psychology, 52, 994-1001.
- FRITZ, C. E.; Marks, E. S. (1954), « The NORC studies of human behavior in disaster », Journal of social issues, 10, 26-41.
- Voir le très intéressant livre de Daniel Schacter, The seven sins of memory: How the mind forgets and remembers. Si vous lisez l’anglais, je vous le recommande. Il s’agit d’un très bon livre de vulgarisation.
- Voir par exemple DAVISON, G. C.; Tsujimoto, R.; Glaros, A. (1973), « Attribution and the maintenance of behavior change in falling asleep », Journal of abnormal psychology, 82, 124-133.
Mélissa a écrit
Merci pour votre implication dans le bien-être des autres. Vous donnez de votre temps et de votre personne pour contribuer à l’amélioration de la vie de vos semblables, merci !
J’apprécie que vous ne survoliez pas les sujets pour nous faire acheter vos ouvrages. Vos articles sont une ressource précieuse en eux-mêmes.
Ça fait du bien de lire qu’on n’est pas seuls, et pas “anormaux” ou fous !
Avec toute ma reconnaissance.
Nicolas Sarrasin a écrit
Merci beaucoup Mélissa, je suis très heureux que le contenu de mon site vous soit utile et je vous remercie de votre commentaire. 🙂