Il est rare que nous soyons tout à fait innocents de nos souffrances. (Jean Rostand)
J’ai le plaisir de vous offrir un article très important pour moi dans lequel je vous présente comment les fausses croyances (distorsions cognitives) peuvent s’acharner contre votre identité et détruire votre estime de soi.
Le fait d’apprendre à identifier ces distorsions cognitives et identitaires vous aidera à vous en libérer et à rétablir une vision plus positive de vous-mêmes !
Cyrano de Bergerac a toujours été pour moi beaucoup plus qu’un héros de théâtre.
Dans les mots d’Edmond Rostand (le père de Jean Rostand de la citation ci-dessus), Cyrano incarne autant le courage que l’authenticité.
Son âme est aussi noble que fières sont ses intentions.
Il poursuit de grands idéaux, et c’est ce qui lui fait dire:
« […] chanter, rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire: mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »
(Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac)
J’ai souvent terminé ma conférence sur l’estime de soi par cette citation et, à chaque fois que je la récitais, j’en avais des frissons tant ces mots résonnent profondément en moi !
Cyrano de Bergerac ne s’escrimait pas seulement avec son épée, mais aussi avec les mots.
Et il se battait beaucoup avec lui-même.
Son énorme nez qui « d’un quart d’heure en tout lieu le précède », selon ses propres termes, lui avait donné une telle image de lui-même qu’il croyait impossible que son indicible amour, Roxane, ne pose les yeux sur lui sans réprimer un hoquet de dégoût.
Tout comme Cyrano, à de trop nombreuses occasions, nous souffrons de nous-mêmes.
Et même si nous sommes souvent responsables de cette souffrance, nous ne voulons jamais volontairement nous nuire.
Personne n’a intérêt à se détruire !
Notre souffrance intérieure provient plutôt d’autres sources.
Cette souffrance peut être la contrepartie négative d’une action qui vise un résultat positif.
Par exemple, si vous tentez en vain d’améliorer une relation amoureuse vouée à l’échec, vous souffrirez.
Dans ce cas, l’intention est bonne, mais elle provoque de douloureux résultats…
Lorsque notre manière d’interpréter nous fait mal
Notre identité, qui se développe à travers nos expériences, contient des croyances, plus ou moins vraies, qui portent sur nous-mêmes.
Certaines de ces croyances sont stables, comme c’est habituellement le cas de notre identité sexuelle, tandis que d’autres sont susceptibles de changer.
La connaissance de nos capacités à accomplir différentes choses en est un bon exemple, surtout lorsque nous vieillissons.
Gravir une montagne en randonnée pédestre pouvait être un jeu d’enfant plus jeune, mais devenir impossible une fois plus âgé…
Mais puisque le fonctionnement de notre cerveau est à la base de notre identité, ses limites et ses erreurs sont également en cause lorsque nous souffrons de nous-mêmes.
Ainsi, notre souffrance intérieure est-elle souvent la conséquence destructrice de notre interprétation de la réalité.
Il ne viendrait à personne l’idée de manger une nourriture douteuse, informe, dont nous ne connaîtrions ni la provenance ni les ingrédients. Nous tenons trop à notre santé pour cela !
Pourtant, chaque jour, nous faisons confiance à des quantités incroyables d’informations.
Et nous utilisons ces informations le plus souvent sans nous préoccuper de leur source ni de leur validité.
Ces informations tissent nos croyances, nos valeurs et fondent même nos actions.
Leur influence sur notre qualité de vie n’est donc pas à mettre en doute !
Que se passe-t-il lorsque nous utilisons mal les informations dont nous disposons ?
Nous risquons d’altérer les croyances que nous avons à notre sujet.
Ce sont des distorsions cognitives !
Comme leur nom l’indique, les distorsions cognitives sont des déformations de la pensée.
Elles nous conduisent à des conclusions limitées ou fausses qui nous rendent malheureux.
Par exemple, si vous croyez que les gens sont incapables de vous apprécier, vous concluez négativement à votre sujet.
Pourtant, vous n’avez aucune preuve que les autres ne peuvent pas vous estimer !
C’est une conclusion insuffisante, une distorsion cognitive.
Le syndrome de l’imposteur en serait un autre très bon exemple…
Au fil de ces pages, nous allons nous intéresser à un type bien particulier de distorsion cognitive: les erreurs d’interprétation qui portent sur nous-mêmes, sur notre identité.
Je vous parlerai donc dorénavant de distorsions identitaires.
Les (très destructrices) distorsions identitaires
Les distorsions identitaires occasionnent de nombreuses insatisfactions personnelles.
Elles nous font réagir de manière inappropriée et douloureuse au moyen de la rancune, de l’amertume, de la haine ou de la susceptibilité, entre autres.
Elles sont aussi extrêmement difficiles à corriger, car elles sont directement liées à notre identité.
En effet, le fait de changer une croyance à notre sujet, même si cette croyance est complètement fausse, revient un peu à nier ce que nous sommes.
Dans ce cas, nous devons corriger ce que nous croyons être.
Heureusement, nous possédons tous la capacité de réviser nos croyances.
Nous pouvons toujours confronter les conclusions négatives que nous retournons contre nous-mêmes.
Cette prise de distance s’appelle le recadrage, et cet outil psychologique constitue un excellent moyen d’améliorer l’équilibre de notre identité !
Pourquoi nous arrive-t-il de nous faire souffrir avec nos distorsions identitaires ?
Tout simplement parce que notre cerveau nous impose les limites que voici:
- Nous avons tendance à concentrer notre attention sur des éléments qui prouvent les croyances que nous avons à notre sujet. Par exemple, Sylvie, qui manque d’estime de soi, retient surtout les événements qui lui confirment qu’elle ne vaut rien.
- À l’inverse, nous contestons ce qui ne correspond pas à notre identité et nous y portons moins d’attention. Sylvie refuse les compliments des autres parce qu’ils ne correspondent pas à l’image négative qu’elle a d’elle-même.
- Les informations qui forment notre identité sont résistantes au changement.
- Les informations qui composent notre identité tendent à rester cohérentes même lorsqu’elles sont fausses et lorsqu’elles nous nuisent !
Nous oublions souvent que tout ce que nous pensons à notre sujet est loin d’être strictement réel et fondé sur des croyances avérées !
Nous intégrons aussi à ces croyances les conclusions de nos interprétations tordues qui n’ont rien à voir avec la réalité.
Les distorsions que je vous présenterai dans cet article sont donc difficiles à admettre parce qu’elles concernent la manière dont nous nous définissons.
Il est toujours douloureux et angoissant de remettre en question notre identité.
Le fait de reconnaître que quelque chose ne va pas revient un peu à douter de soi.
Cela suscite parfois de la colère, de la tristesse ou de la déception.
Mais rassurez-vous ! Il est tout à fait possible de dépasser ces distorsions et ces émotions négatives.
Vous constaterez rapidement qu’il ne s’agit pas d’un déni de vous-même mais, au contraire, d’une redéfinition positive de votre identité.
En fait, il s’agira d’affirmer ce que vous êtes vraiment.
Mais, comme toujours, le premier pas le plus important consiste à accepter de changer.
Pourquoi nous faisons-nous souffrir ainsi ?
Bonne question n’est-ce pas ?
Nos comportements visent toujours à atteindre deux grands objectifs:
- Obtenir ce qui nous fait plaisir, ce qui répond à nos besoins;
- Éviter ce qui nous fait souffrir.
Autrement dit, nous cherchons à nous donner ce dont nous avons besoin avec le minimum d’efforts tout en éliminant ce qui peut nous nuire. Quel défi !
Depuis longtemps, nous avons évolué de manière à relever ce défi.
Et notre cerveau nous y aide beaucoup.
C’est la raison pour laquelle nous répondons souvent à nos besoins.
C’est aussi la raison pour laquelle nous ne souffrons pas sans cesse.
Mais se peut-il que la poursuite de ces deux objectifs nous nuise ?
Hélas, oui ! À force de trop vouloir combler nos besoins et éviter la souffrance, nous finissons par croire qu’il ne peut pas exister autre chose !
C’est ce qui forme nos fausses croyances sur nous-mêmes et sur la vie.
C’est le premier type de distorsion identitaire que je vais vous présenter.
Les fausses croyances sur nous-mêmes et sur la vie se manifestent souvent d’elles-mêmes et, pour plusieurs raisons, elles s’immiscent très facilement dans notre quotidien.
Voici quelques-unes des causes de ces distorsions identitaires:
- Il semble plus facile de nous décourager que de nous motiver devant les défis et les difficultés.
- Nous tendons davantage à satisfaire rapidement nos désirs plutôt qu’à rechercher des bénéfices supplémentaires à plus long terme.
- Lorsque nous nous sentons lésés, nous sommes plus prompts à devenir agressifs et à nous refermer qu’à nous ouvrir et à rechercher des solutions.
- Nous cherchons constamment à confirmer nos hypothèses plutôt qu’à les réfuter.
- Il est plus facile d’entretenir nos croyances, même lorsqu’elles sont fausses, que de les réviser. Par conséquent, il est plus difficile de corriger nos erreurs et d’aborder différemment nos problèmes.
Heureusement, puisque ce sont nos propres croyances qui nous rendent malheureux, nous sommes les mieux placés pour mettre un terme à leurs conséquences désastreuses.
Personne n’a envie de s’autodénigrer, d’endurer des émotions désagréables ou des conflits continuels.
Plutôt que d’ignorer ces distorsions et de les laisser agir, nous pouvons essayer de les comprendre pour les transformer en une source d’amélioration personnelle.
Bien sûr, cette amélioration ne se manifestera pas d’elle-même.
Notre recherche du plaisir et notre dédain de l’effort freinent nos tentatives de changement.
L’amélioration de notre identité nécessite ainsi une attention soutenue, un apprentissage réel et des exercices réguliers.
Loin de moi l’intention de vous décourager !
Ce que je veux mettre en évidence, cependant, c’est le fait que nous sommes toujours plus aptes à réussir lorsque nous savons à quoi nous attendre.
Voici donc en détail à quoi ressemblent ces premières distorsions identitaires.
Les fausses croyances sur nous-mêmes et sur la vie
« Celui qui s’assied au fond d’un puits pour contempler le ciel le trouvera petit », dit un vieil adage…
Il semble effectivement que nous ayons une tendance naturelle à prendre nos désirs pour des absolus et à voir nos conclusions comme des certitudes.
Par exemple, il est normal de vouloir que les autres nous acceptent et nous apprécient.
Comme nous l’avons vu, ce sentiment d’appartenance est garant de bien-être.
Mais il est excessif de croire que les autres doivent toujours nous aimer et que nous serons profondément malheureux si ce n’est pas le cas !
Ce sont des fausses croyances au sujet de nous-mêmes et de la vie.
Les docteurs Albert Ellis et Aaron Beck, avec leurs collègues, ont montré de quelle manière ces distorsions s’expriment à travers nos pensées1.
Les trois types de distorsions qui suivent s’inspirent de leurs travaux.
1. La compétence et l’appréciation à tout prix
Nous désirons profondément être appréciés et approuvés des autres et nous cherchons à voir notre valeur reconnue, car cette reconnaissance nous aide à tisser des liens riches et agréables avec les autres.
Mais les problèmes surgissent lorsque nos désirs prennent la forme d’absolus.
Les énoncés suivants vous donnent quelques exemples de ce à quoi vous pensez quand vous faites ces distorsions identitaires:
- Je dois absolument être compétent et tout ce que je fais doit être approprié.
- Ma valeur personnelle correspond à ce que j’accomplis dans la vie.
- Les autres ne m’accorderont de la valeur que si je les impressionne avec mes accomplissements.
- La réussite de ceux que je côtoie fait ombrage à ma valeur.
- Pour mériter la considération des autres, je dois réussir tout ce que j’entreprends.
- Si j’admets que j’ai fait une erreur, cela revient à affirmer que je suis faible et médiocre.
- Les personnes que je fréquente doivent toujours m’apprécier et m’approuver.
- Il est horrible et insoutenable de ne pas réussir.
- Je ne possède aucune valeur personnelle lorsque je ne réussis pas ce que j’entreprends ou lorsque les autres ne m’apprécient pas.
À la lecture de cette liste, peut-être trouvez-vous comme moi que ce type de distorsions cognitives convient extrêmement bien à la société de consommation et de performance dans laquelle nous vivons ?
J’ajouterais même que le consumérisme a pratiquement érigé en système ce type de croyances.
Il n’a donc jamais été aussi urgent d’en prendre conscience et de s’en soulager !
Ces croyances despotiques prennent souvent toute la place et s’attaquent directement à notre identité.
Elles engendrent différents problèmes, allant du manque de motivation et d’estime de soi jusqu’à l’agressivité, à l’anxiété et même à la dépression.
Prenons l’exemple d’Isabelle, qui met continuellement l’accent sur sa compétence et craint de ne pas être à la hauteur dans de nombreuses situations.
Les doutes qu’elle entretient à son égard la font s’évaluer négativement.
Autrement dit, elle se compare sans cesse aux autres pour se juger.
Elle ment même parfois de peur de perdre la face s’ils s’aperçoivent qu’elle s’est trompée.
Ce qui est triste dans l’histoire d’Isabelle, c’est que ce sont ses propres croyances qui la font douter d’elle-même.
Elle n’a aucune raison valable de se déprécier ainsi.
Ce sont ses interprétations tordues ébranlent son identité dans plusieurs situations.
Par exemple, elle interprète le moindre signe de désapprobation de la part des autres comme un constat de son incompétence.
Comme c’est le cas pour Isabelle, la pression sociale et le désir d’être acceptés empoisonnent souvent nos pensées et notre vision de nous-mêmes.
Pour sortir de ce piège infernal, nous devons d’abord prendre conscience que notre valeur personnelle ne dépend en rien de nos accomplissements.
Il nous sera ensuite plus facile de nous accepter malgré nos faiblesses et nos échecs, pour nous accorder de la valeur indépendamment de notre statut social et de la pression que les autres exercent sur nous.
Car nous possédons tous une valeur fondamentale, peu importe ce que nous faisons !
2. Les autres doivent toujours nous traiter comme nous le souhaitons
Comme nous l’avons vu dans l’article sur le sentiment d’appartenance, nos relations interpersonnelles et le sentiment d’appartenance nourrissent une part très importante de notre identité.
Il est normal que nous prêtions aux autres nos valeurs, nos croyances et notre vision du monde.
Il est également normal de préférer que les autres nous traitent avec considération, ouverture et respect.
Malheureusement, ces désirs prennent souvent une tournure trop idéale et nous causent quelques soucis…
J’en arrive ainsi au second type de pensées absolues qui pervertissent notre vision de nous-mêmes et de la vie.
Voici quelques exemples de la forme que ces distorsions cognitives peuvent prendre:
- Les autres doivent toujours m’accorder suffisamment d’attention.
- Les autres doivent toujours me traiter avec l’estime que je mérite.
- Les autres doivent toujours être d’accord avec moi.
- Les autres doivent faire attention à moi et me comprendre.
- Je ne vaux rien si je ne suis pas toujours apprécié par les autres.
- Si les autres me critiquent, c’est qu’ils me rejettent et me déprécient.
- Il est inadmissible et insoutenable d’être déconsidéré ou rejeté.
- Les personnes qui ne me traitent pas comme je le désire sont méchantes et sans valeur.
Prenons cette fois l’exemple de Mathieu, qui entretient plusieurs de ces croyances oppressives.
Il est irritable, agressif et ressent de fréquentes déceptions face aux autres.
Mathieu a souvent peur de ne pas être accepté.
Il interprète comme une marque de rejet les situations dans lesquelles les autres ne lui accordent pas toute l’importance qu’il désire.
De même, il attache une importance exagérée à l’opinion que les autres ont de lui.
Comme dans le cas de Mathieu, la question ne consiste pas ici à nous résigner à ce que les autres nous rejettent.
Cependant, il est plus réaliste de constater qu’il est absolument normal de ne pas être apprécié par tout le monde.
Nous ne pouvons pas constamment obtenir des marques de considération.
Et ne pas en recevoir ne constitue pas nécessairement un signe d’exclusion !
3. Nous devons toujours obtenir tout ce que nous désirons…
Nous essayons habituellement de répondre à nos besoins d’une manière rapide et efficace.
Nous apprécions donc les moments où nous y parvenons tout en évitant les embûches qui se dressent sur notre chemin.
Malheureusement, ce profond désir d’obtenir tout ce que nous souhaitons se mue souvent en une série de croyances irréalistes qui nuisent à notre bien-être.
Voici quelques exemples de ces distorsions cognitives:
- Je dois absolument obtenir tout ce que je désire.
- Mes activités et mon contexte de vie doivent être ordonnés et je dois les contrôler comme je le veux.
- Je dois subvenir à mes besoins facilement et rapidement sans avoir à fournir trop d’efforts.
- Je dois tout contrôler dans ma vie.
- Les personnes qui prennent des décisions sont fortes et possèdent de la valeur tandis que les autres sont fainéantes et minables.
- Mon point de vue est le seul valable. Lorsque le point de vue des autres diverge du mien, c’est qu’ils se trompent.
- Si je cède aux désirs des autres, c’est que je suis faible et sans valeur.
- Les autres essaient continuellement de me contrôler et je ne dois pas les laisser faire.
- L’inconfort et les désagréments sont intolérables.
- Je ne peux pas supporter de ne pas obtenir ce que je désire.
Marie entretient ces pensées tyranniques et elle en souffre de nombreuses manières.
Elle a une faible tolérance aux désagréments, adopte souvent une position de victime, se plaint fréquemment et manque de motivation.
Ces distorsions font beaucoup craindre à Marie les situations où elle risque de perdre le contrôle.
Les seuls moyens qui lui restent pour se rassurer sont d’ordonner et de prévoir son environnement.
Mais les autres font également partie de cet environnement…
Imaginez les conflits qu’elle suscite lorsqu’elle essaie de régir la vie des personnes qu’elle côtoie !
Les incertitudes de Marie se manifestent également par différentes craintes.
Elle a peur de manquer d’argent, de tomber malade.
Elle craint aussi que les autres la dominent.
Marie vit un grand malaise qui découle de ses craintes, et ses relations avec son entourage sont lourdes et difficiles.
Par exemple, elle a du mal à déléguer des tâches et impose souvent sa manière de procéder.
Il lui est également ardu de prendre conscience de ses lacunes et de ses problèmes, car elle croit que ce sont toujours les autres et les situations extérieures qui sont la cause de ses tourments.
Comme Marie, nous vivons parfois des doutes et exagérons notre désir de contrôle.
Pour ressortir de ce carcan étouffant, nous pouvons songer à l’infinie complexité du monde et du comportement des gens que nous côtoyons.
Notre capacité réelle de maîtriser cette complexité paraît alors bien petite !
Au lieu de voir cet état de fait comme une source de dangers potentiels, nous pouvons y voir une grande richesse.
Seuls l’ouverture et l’apprentissage peuvent véritablement améliorer notre situation.
Le tableau ci-dessous est tiré de mon livre pour aider à développer son estime de soi et qui contient beaucoup plus de ressources.
Ce tableau vous présente un aide-mémoire des distorsions cognitives identitaires que nous venons de voir.
Je vous suggère de le consulter souvent, car il vous permettra d’identifier rapidement vos distorsions identitaires avant qu’elles commencent à vous faire souffrir.
Tableau résumé: Les fausses croyances sur nous-mêmes et sur la vie
1. La compétence et l’appréciation à tout prix |
Je dois absolument être compétent et tout ce que je fais doit être approprié. |
Ma valeur personnelle correspond à ce que j’accomplis dans la vie. |
Les autres ne m’accorderont de la valeur que si je les impressionne par mes accomplissements. |
La réussite de ceux que je côtoie fait ombrage à ma valeur. |
Pour mériter la considération des autres, je dois réussir tout ce que j’entreprends. |
Si j’admets que j’ai fait une erreur, cela revient à affirmer que je suis faible et médiocre. |
Les personnes que je fréquente doivent toujours m’apprécier et m’approuver. |
Il est horrible et insoutenable de ne pas réussir. |
Je ne possède aucune valeur personnelle lorsque je ne réussis pas ce que j’entreprends ou lorsque les autres ne m’apprécient pas. |
2. Les autres doivent nous traiter comme nous le souhaitons |
Les autres doivent toujours me porter suffisamment d’attention. |
Les autres doivent toujours me traiter avec l’estime que je mérite. |
Les autres doivent toujours être d’accord avec moi. |
Les autres doivent toujours faire attention à moi et me comprendre. |
Je ne vaux rien si je ne suis pas apprécié par les autres |
Si les autres me critiquent, c’est qu’ils me rejettent et me déprécient. |
Il est inadmissible et insoutenable d’être déconsidéré ou rejeté. |
Les personnes qui ne me traitent pas comme je le désire sont méchantes et sans valeur. |
3. Obtenir tout ce que nous désirons |
Je dois absolument obtenir tout ce que je désire. |
Mes activités et mon contexte de vie doivent être ordonnés et je dois les contrôler comme je le veux. |
Je dois subvenir à tous mes besoins facilement et rapidement sans avoir à fournir trop d’efforts. |
Je dois tout contrôler dans ma vie. |
Les personnes qui prennent des décisions sont fortes et possèdent de la valeur tandis que les autres sont fainéantes et minables. |
Mon point de vue est le seul valable. Lorsque le point de vue des autres diverge du mien, c’est qu’ils se trompent. |
Si je cède aux désirs des autres, c’est que je suis faible et sans valeur. |
Les autres essaient continuellement de me contrôler et je ne dois pas les laisser faire. |
Quelles sont les conséquences de ces fausses croyances sur nous-mêmes ?
Nos distorsions identitaires ne proviennent pas seulement des limites de notre cerveau.
Le milieu dans lequel nous vivons (sans compter la publicité) contribue largement à diffuser des croyances comme celles que nous venons de voir.
Voici l’exemple d’une croyance qui semble plutôt répandue dans la société.
Il semble parfois qu’il existe un consensus à l’effet que la valeur d’une personne équivaut à son compte en banque et au travail qu’elle occupe.
Évidemment, nous pouvons nous réaliser à travers nos activités et nos réalisations.
Ces valeurs ne sont pas toujours nuisibles.
Elles constituent même pour plusieurs personnes des objectifs de vie tout à fait positifs.
Mais les conséquences de ces croyances ne sont pas toujours aussi constructives.
Si nos seuls objectifs consistent à devenir riches et à être appréciés de tous, nous confondons de légitimes aspirations avec un absolu.
Un absolu ne nous accorde aucune autre possibilité.
Nous réagissons à tout ce qui ressort des règles que nous avons édictées pour de bon.
C’est donc lorsque nos pensées deviennent absolues qu’elles heurtent le plus notre identité.
Par exemple, imaginez qu’une personne vous manque de respect.
Si vous vous dites qu’il est intolérable que cette personne vous traite de la sorte, que ce manque de considération vous retire toute valeur personnelle, vos conclusions engendreront une réaction émotionnelle intense et négative.
Votre humeur et vos émotions dépendent directement du contenu de vos pensées.
Ainsi, des pensées négatives vous feront vivre des émotions tout aussi négatives.
Au contraire, si vous essayez de comprendre les intentions de la personne qui vous manque de respect, si vous admettez que les autres n’ont pas à toujours vous traiter comme vous le désirez, votre réaction sera beaucoup moins désagréable même si la situation l’est, elle.
Nous n’avons pas à répondre à tous nos désirs pour être heureux.
Nous pouvons plutôt apprendre à maîtriser les impératifs que nous nous imposons souvent pour rien.
Même si le fait d’assouvir nos désirs est important à notre bien-être, gardons-nous de laisser des désirs absolus tyranniser notre quotidien !
Le fruit des mauvaises habitudes entre nos deux oreilles
Notre tendance à mal interpréter les événements par rapport à nous-mêmes se manifeste très tôt dans la vie.
Et plusieurs années plus tard, nous retrouvons souvent le fruit de ces distorsions enracinées dans notre identité.
Ce sont toutes les fausses convictions que nous entretenons à notre sujet.
Mais est-ce bien constructif de se concentrer seulement sur le passé pour essayer de régler nos déséquilibres identitaires ?
S’il est louable de vouloir trouver les causes de nos craintes et de nos souffrances, il est simpliste de croire que nous pouvons savoir avec précision d’où viennent nos problèmes.
Albert Ellis et John Whiteley font une observation intéressante à ce sujet:
Alors que des événements passés possèdent une certaine importance, nous avons tendance à leur donner toute l’importance. D’ailleurs, puisque la plupart d’entre nous éprouvons une réelle satisfaction à passer en revue notre passé (ce qui semble plus important que nos actions ou que nos sentiments) nous gaspillons du temps et de l’énergie à parler […] de notre passé, alors que nous ferions mieux de concentrer notre attention sur notre existence présente et future.2
Nous cherchons sans cesse des explications pour identifier les causes possibles de nos problèmes.
Il s’agit tantôt de notre famille, tantôt d’un événement traumatisant.
Malheureusement, ces explications nous disent rarement comment éliminer ce qui nous fait souffrir…
Au contraire, nous pouvons comprendre comment nos pensées et nos attitudes nous nuisent, au présent, et améliorer ainsi notre avenir !
Puisqu’il est aussi difficile d’expliquer ce qui motive nos réactions ou de savoir d’où provient notre personnalité, il semble impossible d’améliorer notre sort.
Mais il n’en est rien !
Nous ne saisissons pas le fonctionnement interne d’un ordinateur.
Pourtant, nous comprenons suffisamment ses logiciels pour obtenir des résultats efficaces et satisfaisants.
Nous ne connaissons pas l’origine des lois physiques qui régissent l’univers, mais nous édifions des prodiges d’architecture lorsque nous appliquons ces lois !
De la même manière, même si nous n’identifions pas les « sources profondes » de nos déséquilibres, nous pouvons apporter des changements bénéfiques à notre manière d’interpréter la réalité.
Cela renforcera directement notre identité et améliorera notre attitude face à la vie.
Bien qu’Isabelle manque de confiance en elle et se dénigre pour un rien, elle n’a pas besoin de savoir exactement d’où provient cette vision négative d’elle-même.
Je ne veux pas dire par là qu’il ne serait pas intéressant pour elle de l’apprendre, mais plutôt que cette « cause » est impossible à identifier avec précision.
Et, surtout, je veux souligner qu’Isabelle n’a pas besoin de connaître cette cause pour être bien dans sa peau.
De toute manière, nos problèmes proviennent rarement d’un seul événement, mais de la combinaison de très nombreux facteurs.
Comme le vilain nez de Cyrano dont je parlais au début de cet article, Isabelle de mon exemple précédent entretient une vision négative d’elle-même qui découle de sa manière d’interpréter les événements.
Ce sont les fausses croyances à son sujet qui la rendent malheureuse.
Les tristes événements de son passé ont peut-être amplifié ses distorsions, mais aucun maléfice ne stigmatise Isabelle pour de bon.
Elle possède les moyens de changer sa vie pour le mieux !
Accepter ce que nous ne pouvons pas changer
Il est toujours amusant de regarder un chien qui essaie d’attraper sa queue.
Nous ne pouvons nous empêcher de sourire et de trouver que, finalement, il faut être bien naïf pour consacrer autant d’efforts à atteindre ce but !
Pauvre chien, ne sait-il pas qu’il perd son temps ?
On dit que seuls les fous ne changent jamais d’idée. En fait, ce ne sont pas seulement les fous…
Il arrive parfois que des événements suscitent en nous un sentiment de colère.
Des réactions intenses et désagréables s’ensuivent alors.
Tout comme Don Quichotte, ne trouvez-vous pas que nous nous battons souvent contre des moulins à vent ?
Cette attitude peu constructive consiste à essayer de changer des choses sur lesquelles nous n’avons aucune emprise.
Par exemple, Claire n’accepte pas que les autres pensent différemment d’elle. Chaque fois qu’il y a un désaccord, elle croit qu’on la rejette.
Pourtant, elle ne peut demander au monde entier de partager ses opinions sur toute chose !
Le seul moyen de ne pas souffrir des choses que nous ne pouvons pas changer consiste, justement, à nous apercevoir qu’il n’y a rien à faire.
Cette constatation simple, mais beaucoup plus constructive que l’obstination aveugle, se nomme l’acceptation.
L’acceptation est très efficace pour protéger notre identité.
Elle consiste à cesser de nous battre contre ce que nous ne pouvons pas changer.
Même si cet outil peut vous paraître simple, il n’est pas si facile à utiliser.
Essayez-le, la prochaine fois que vous vous battrez contre quelque moulin à vent…
Ainsi, au lieu de perdre notre temps à chercher inutilement pourquoi nous vivons des difficultés, nous gagnons davantage à comprendre comment nous nous rendons malheureux.
C’est la raison pour laquelle, dans l’article suivant, nous nous concentrerons sur nos croyances et nos attitudes présentes, et ce, afin de nous donner la possibilité d’améliorer vraiment notre situation.
Pour aller plus loin
Lucien Auger présente également la perspective de la psychothérapie émotivo-rationnelle aux lecteurs francophones dans son best-seller S’aider soi-même: une psychothérapie par la raison. Je vous en recommande fortement la lecture !
Références
- Voir BECK, A. T.; Emery, G.; Greenberg, R. L. (1985), Anxiety disorders and phobias. A cognitive perspective, New York, Basic Books, 343 p.; ELLIS, A.; Greiger, R. (1977), Handbook of rational-emotive therapy, New York, Springer, 433 p.
- ELLIS, A.; Whiteley, J. M. (1979), Theoretical and empirical foundations of rational-emotive therapy, Monterey, Brooks/Cole Publishing company, p. 11. Ma traduction.
Ce texte a suscité des idées ou des questions ?
Les commentaires sont là pour vous !
Florence dit
Bonjour, j’ai 55 ans et je suis toujours aussi craintive avec mes parents. Je suis restée à “bonjour papa”, “merci papa”, “oui papa”. Je ne réponds pas lorsqu’il me critique ou qu’il dit des choses qui me mettent hors de moi, je le garde à l’intérieur (car j’ai peur de me faire disputer) comme lorsque j’étais petite. Pour les autres, c’est pareil. S’ils ne me parlent pas gentiment, j’ai une boule à la gorge et je me mets à pleurer. Bref, ça fait 55 ans que je souffre; aidez-moi. PS: je n’arrive toujours pas à tutoyer mon père ! MERCI.
Nicolas Sarrasin dit
Bonjour Florence,
Je compatis avec ce que vous vivez. Malheureusement, les questions de l’estime de soi et de l’affirmation de soi, surtout dans un contexte de relation parent-enfant, sont beaucoup trop complexes et individuelles pour être en mesure de vous aider dans l’espace limité des commentaires.
Voici cependant des références qui peuvent vous aider:
– Mon article sur le respect de soi
– Mon livre pour aider à développer l’estime de soi
– Mon livre pour nourrir la confiance en soi
Vous pourriez également gagner à consulter auprès d’un(e) psychologue, dont le travail vise notamment à aider sur des sujets comme celui que vous avez partagé dans votre commentaire.
Voici une page qui vous aidera à consulter de manière avantageuse.
Je vous souhaite le meilleur.
Christine dit
Bonjour, je tiens tout d’abord à vous remercier pour ce partage et cette générosité que je viens de découvrir en lisant vos textes. Je suis pas mal “cabossée” et emprunte de nombreux chemins pour trouver une forme de sérénité. Le problème c’est que j’ai l’impression que je passe mon temps à penser à moi-même (avant je passais mon temps à penser aux autres…) et, du coup, je deviens trop nombriliste. Mon cerveau est toujours en ébullition et m’empêche de me concentrer sur autre chose que moi même…
Comment guérir du narcissisme s’il s’agit bien de cela? Avez vous une lecture à me recommander? Merci beaucoup.
Nicolas Sarrasin dit
Bonjour Christine,
Je vous remercie de votre commentaire. Le fait de se centrer sur soi-même peut provenir d’un très grand nombre de raisons. Cela peut être temporaire en relation à la souffrance qu’on vit (on est plus centré sur soi lorsqu’on souffre par exemple, sans que cela ne soit signe d’un égoïsme fondamental) ou être un trait de la personnalité et un comportement constant (ce qui ne semble pas être votre cas puisque vous dites que vous pensiez constamment aux autres auparavant).
Votre concentration sur vous-même provient donc peut-être davantage de la souffrance que vous vivez. Dans ce cas, le meilleur moyen d’en sortir est d’améliorer votre situation globalement. Dans ce contexte, je n’aurais pas vraiment de lectures à vous suggérer, puisque la question est plus complexe. La meilleure avenue pour aller mieux est souvent de consulter un(e) psychologue. Voici une ressource qui vous aidera à consulter au besoin.
Je vous souhaite le meilleur.