L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. (Amin Maalouf)
Dans cet article, je poursuis cette quête de tout ce que nous sommes à travers notre identité.
De belles découvertes en perspective!
Au cours de sa vie de scientifique austère, le docteur Jekyll ne cesse de s’interroger sur l’âme humaine.
Son labeur acharné lui fait découvrir un étrange sérum qui lui ouvrira les portes les plus secrètes en lui.
Chaque dose de ce sérum qu’il teste sur lui-même donne naissance à un alter ego monstrueux, Mr Hyde, pétri des pires vices que le docteur Jekyll a toujours réussi à maîtriser.
Vous connaissez probablement l’histoire du docteur Jekyll et de Mr Hyde.
Cette description caricaturale de l’identité humaine n’est pas sans faire sourire.
Pourtant, elle cache un fond de vérité.
Malgré son apparente unité et sa cohérence, notre identité s’élabore dans différents domaines, selon ce que nous savons à notre sujet.
Par exemple, la perception que l’on a de soi-même en tant que « parent » n’est pas la même que celle que l’on a en tant que « responsable des achats au bureau »…
Ainsi, les connaissances qui forment notre identité nous influencent sans cesse, mais elles ne sont pas homogènes.
Notre identité n’est donc pas seulement l’ensemble de caractéristiques personnelles que nous pouvons nommer à notre sujet.
Nous avons assimilé tout ce que nous savons de nous-mêmes et ces connaissances se manifestent couramment sans que nous en soyons toujours conscients.
Toutes les « dimensions de soi »…
Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, le contenu de notre identité s’organise autour de différents thèmes comme notre corps, nos émotions et nos relations avec les autres.
Chacun de ces thèmes forme un ensemble cohérent de connaissances sur nous-mêmes.
Ce sont les dimensions de soi.
Un peu à la manière d’un aimant, les dimensions de soi attirent les nouvelles informations que nous apprenons à notre sujet à travers nos expériences.
Elles organisent notre identité et nous aident à évaluer nos expériences et à prendre des décisions.
Par exemple, la dimension de soi qui concerne vos compétences culinaires vous aide à vous remémorer les souvenirs de vos succès gastronomiques.
Ces souvenirs sont la preuve de votre compétence dans ce domaine et ils vous donnent la confiance nécessaire pour réaliser sans crainte une nouvelle recette.
Les dimensions de soi n’apparaissent pas d’un coup ni une fois pour toutes: elles sont multiples et se modifient constamment. Certaines d’entre elles peuvent même entrer en conflit avec d’autres !
Et selon ce que nous savons de nous-mêmes, nous ne nous connaissons presque pas dans certains domaines.
Même si nous vivons très intimement avec notre corps, certaines parties nous restent complètement étrangères.
Par exemple, il serait surprenant que vous ayez une grande connaissance de votre chiasme optique !
Ainsi, certaines dimensions de notre identité sont beaucoup plus riches que d’autres selon nos activités et l’attention que nous nous portons à nous-mêmes.
Par exemple, il est évident qu’une gymnaste possède une meilleure connaissance de son corps qu’un rat de bibliothèque…
De la même manière, une personne qui refuse d’apprendre sur elle-même se connaît beaucoup moins qu’une personne qui se livre volontiers à l’introspection.
Par ailleurs, le fait d’avoir de multiples points de vue sur nous-mêmes n’est qu’une illusion.
Quand vous vous dites « Je me déteste », la personne qui juge est la même que celle qui est jugée !
Est-il possible d’être à la fois juge et partie ?
C’est une position pour le moins ambiguë.
Notre état identitaire idéal consiste probablement à nous apprécier suffisamment dans toutes nos dimensions.
À quoi servent les dimensions de soi par rapport à votre identité ?
Pour mieux comprendre la manière dont se développent vos dimensions de soi, vous n’avez qu’à vous remémorer la dernière fois que vous avez accompli une nouvelle activité.
À ce moment, vous ne vous connaissiez absolument pas dans ce nouveau contexte et vous ne saviez pas de quelle manière vous réagiriez. Vous ne saviez pas non plus si vous réussiriez cette activité ni si vous l’apprécieriez.
À cette occasion, vous avez donc appris quelque chose de plus sur vous-même.
De cette manière, nos dimensions de soi nous aident à comprendre nos différents états.
Par exemple, nous ne reconnaîtrions pas la colère quand nous la vivons si nous ne l’avions jamais éprouvée auparavant.
Nos réactions passées nous aident ainsi à comprendre nos états et nos comportements présents.
Mais il faut nous garder de croire que nos attitudes sont toujours utiles ou que nous ne pouvons pas les changer.
De nombreuses réactions, comme l’agressivité ou l’inhibition, nous définissent mais nous rendent malheureux par la même occasion.
C’est pourquoi nous gagnons à éviter les conclusions comme « J’ai toujours été comme ça… » ou « C’est ma personnalité, je ne peux rien y faire ! »
Tout n’est jamais déterminé pour de bon et nous pouvons toujours changer ce qui nous rend malheureux.
Nous verrons comment faire un peu plus loin dans les prochains articles.
Les dimensions de soi sont aussi des connaissances que nous avons généralisées à notre sujet.
Elles sont devenues de véritables stéréotypes.
En psychologie, les stéréotypes sont des informations que nous avons répétées tellement souvent qu’elles sont devenues facilement accessibles en mémoire.
Cela les rend utiles, si ces informations sont valides, mais aussi très résistantes au changement.
Si le sujet vous intéresse, ce texte tiré de mon livre le Petit traité antidéprime aborde les stéréotypes de manière plus détaillée.
Par exemple, si nous croyons que nous allons rater tout ce que nous entreprenons, il sera difficile de nous convaincre que nous réussirons quelque chose…
Les dimensions de soi sont les informations que nous croyons les plus véridiques et les plus importantes à notre sujet.
Elles sont donc très présentes dans notre vie même si elles sont parfois complètement fausses !
Le kaléidoscope de ce que nous sommes
Comme vous le savez, les dimensions de soi modifient la manière dont vous interprétez vos nouvelles expériences.
Ce processus influence beaucoup votre identité.
Vous retenez aussi davantage ce qui correspond à ce vous connaissez déjà de vous-même.
Vous choisissez donc les informations qui sauvegardent votre cohérence identitaire.
Par exemple, à cause des stéréotypes masculins, un homme aura rarement tendance à ajouter une robe à ses vêtements de tous les jours…
De cette manière, notre identité modifie ce que nous retenons de nos expériences. Elle influence ensuite la manière dont nous utilisons ultérieurement ces informations.
Ce processus correspond généralement à celui de l’apprentissage.
En résumé, les informations sur nous-mêmes sont très facilement accessibles en mémoire; elles nous permettent de comprendre notre milieu et nous aident à prévoir nos propres comportements.
Par exemple, nous ne réglons pas tous nos conflits de la même manière.
Certaines personnes savent qu’elles communiquent aux autres ce qui ne va pas, alors que d’autres restent complètement muettes.
Un ensemble de connaissances bien distinctes sur nous-mêmes
L’identité est complexe, variable, et son contenu est très difficile à cerner.
Mais saviez-vous que votre cerveau n’utilise pas vos connaissances identitaires de la même manière que vos autres connaissances ?
Des recherches en neuropsychologie1 ont montré que le cerveau traite les informations identitaires d’une manière différente des informations qui ne sont pas reliées à soi-même.
Les informations identitaires seraient même associées à une zone précise du cerveau, la région préfrontale (voir l’image ci-dessous).
Cette zone est celle de la maîtrise de soi et de la mémoire à court terme; elle gère même des comportements aussi complexes que le langage.
Nous utilisons très souvent les zones de notre cerveau qui « entreposent » les informations sur nous-mêmes.
Ces aires cérébrales sont très développées et, à travers nos expériences quotidiennes, nous mettons continuellement leur contenu à jour.
Le lien qui nous unit aux autres
Notre identité est au centre de toutes nos activités. C’est pour cette raison qu’elle joue aussi un rôle essentiel dans nos relations interpersonnelles.
Lorsque nous nous connaissons, nous réagissons mieux aux autres en fonction de ce que nous sommes.
Cette connaissance de soi augmente même notre capacité à prendre de meilleures décisions pour nous-mêmes.
De plus, nous réagissons plus positivement aux autres lorsqu’ils « confirment » nos dimensions de soi.
En d’autres mots, nous préférons que les autres nous disent que nous avons raison sur notre compte plutôt que de les entendre affirmer que nous nous sommes trompés !
C’est aussi pourquoi nous jugeons souvent les autres avec sévérité lorsque leurs paroles et/ou leur attitude ne correspondent pas à ce que nous valorisons.
Ils s’écartent ainsi de notre identité, s’éloignent de ce que nous considérons être bon pour nous-mêmes.
Ainsi, non seulement notre identité est le centre de notre existence, mais elle en assure aussi l’équilibre.
Lorsque nous réagissons vivement aux critiques, c’est parce que nous sentons que notre identité est menacée.
Les personnes qui ont une piètre estime d’elles-mêmes se mettent d’ailleurs en doute beaucoup plus souvent que les personnes dont l’humeur est stable et plus positive.
Une bonne manière d’observer votre identité à l’œuvre consiste à porter attention au discours intérieur que vous vous adressez à vous-même.
Notez particulièrement la manière dont vous vous jugez après un événement négatif: ce discours témoigne beaucoup de ce que vous pensez de vous-même.
Cela révèle l’importance de posséder une vision de soi riche, positive et harmonieuse.
D’ailleurs, une telle identité découle autant de la connaissance de soi que de la capacité à s’apprécier.
Par exemple, une personne qui se connaît bien et est convaincue de sa valeur ne doute pas facilement d’elle-même et n’est pas très influençable.
Une image dynamique de soi-même à utiliser à notre avantage
J’ai souligné précédemment à quel point notre identité influence notre manière d’interpréter les événements.
Mais notre interprétation seule ne suffit pas.
Le contexte joue aussi un rôle très important dans le développement de ce que nous sommes.
Par exemple, une personne déprimée a tendance à se concentrer sur elle-même plutôt que sur les événements extérieurs.
Selon le contexte, elle se sentira plus malheureuse si elle songe à ce qui ne va pas.
Cela ne serait pas le cas si une activité la distrayait de son humeur maussade.
Certaines parties de notre identité sont sollicitées au détriment d’autres selon le contexte.
Il est intéressant de savoir que notre identité adopte une forme plus naturellement affirmative que négative.
Par exemple, j’ai eu plus souvent l’occasion de penser que j’ai la nationalité canadienne que j’en ai eu de songer que je n’ai pas la nationalité brésilienne !
Ainsi, il m’est plus facile d’affirmer que je suis canadien plutôt que de reconnaître que je ne suis pas français, brésilien ou chinois, même si ces caractéristiques sont vraies et beaucoup plus nombreuses.
Notre identité nous pousse également vers ce que nous voudrions être et que nous ne sommes pas encore.
Ce désir provient de ce que nous connaissons de nous-mêmes, comme nos goûts et nos valeurs, et il s’enrichit de la dimension affective.
Nous savons ce que nous voulons, mais nous savons aussi ce que nous détestons, ce à quoi nous ne voulons pas ressembler.
Notre identité agit ainsi comme un guide, nourrissant nos aspirations, mais délimitant ce que nous croyons être en mesure d’accomplir.
Nous commençons à entrevoir l’influence que l’identité a sur notre bien-être.
Dans cet article, nous avons vu les dimensions de soi. Ce sont des ensembles d’informations similaires qui portent sur nous-mêmes.
Dans l’article suivant, nous verrons ce qui survient lorsque deux manières de nous percevoir se contredisent l’une l’autre.
Nous allons donc nous atteler à mieux comprendre les conflits qui se trament parfois au plus profond de nous-mêmes…
Référence
- Par exemple, voir KIRCHER, T. T. J.; Brammer, M.; Bullmore, E.; Simmons, A.; Bartels, M.; David, A. S. (2002), « The neural correlates of intentional and incidental self processing », Neuropsychologia, 40, 683-692.
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