Dans cet article, je vais vous parler de la manière dont le recadrage, ce fantastique outil psychologique, peut vous aider à accepter les événements que vous ne contrôlez pas et à lâcher prise.
Tirez profit du recadrage
Je vous ai parlé précédemment des personnes qui, à cause de trop nombreux préjugés, sont insatisfaites et entrent souvent en conflit avec les autres.
Plus nous limitons le sens des infinis détails du quotidien, plus nous nous fermons à la nouveauté et plus nous refusons les différences.
Nous vivons alors de l’insatisfaction chaque fois qu’une personne ou une situation diffère de notre vision trop étroite du monde.
Cette attitude limitée souligne l’importance d’élaborer une manière « ouverte » d’interpréter la réalité. Notre cerveau a toujours la possibilité d’apprendre et de changer.
Nous pouvons augmenter notre réceptivité aux choses que nous ne connaissons pas (ou peu), ou même que nous ne privilégions pas, pour accepter plus facilement les différences.
Puisque nous ne détiendrons jamais de vérité finale, nous avons tout avantage à enrichir notre connaissance de nous-mêmes, du monde et des autres.
Grâce à cette ouverture d’esprit, nous connaîtrons mieux nos réactions et serons en mesure de les maîtriser plus facilement.
C’est exactement ce qui se passe lorsqu’un médecin diagnostique un trouble physique: ses connaissances l’aident à identifier le traitement adéquat.
Grâce au recadrage, nous pourrons nous-mêmes diagnostiquer et « soigner » plusieurs troubles de notre pensée.
Imaginez deux personnes qui souffrent de tachycardie, une augmentation irrégulière du rythme cardiaque.
La première comprend ce qui lui arrive.
Grâce à ses connaissances, elle conclut que cette situation est peu dangereuse et ne s’inquiète pas outre mesure.
La deuxième personne, qui ne comprend absolument pas ce qui se passe, se met à paniquer et croit qu’elle va mourir.
Sa panique augmente ses symptômes et la situation risque de s’aggraver !
La différence est remarquable.
La première personne connaît la nature de son trouble.
Elle est moins anxieuse et possède une panoplie de réactions pour améliorer la situation plutôt que de l’envenimer.
Elle y fait face avec calme et confiance.
Toute notre vie, nous aurons toujours avantage à apprendre.
Disposer des connaissances appropriées permet de mieux réagir, exactement le contraire du comportement borné…
Quels sont les avantages du recadrage ?
J’aimerais maintenant vous présenter quelques-uns des avantages que vous retirerez à remettre en question les croyances et les conclusions qui vous rendent malheureux.
Pour que ce recours à la conscience fonctionne et vous soit bénéfique, vous devez être convaincus de son bien-fondé.
Puisque vos actions reposent sur ce que vous considérez comme plausible et pertinent, vous n’obtiendrez pas de résultats probants si vous ne les croyez pas d’abord possibles !
Comme le disait le psychologue Kurt Lewin1, pour changer, nous devons augmenter les forces consacrées au changement, diminuer celles qui nous font résister, et rediriger les forces déjà en place pour soutenir notre transformation.
Cela signifie que nous pouvons récupérer nos faiblesses pour les transformer en force de changement !
Paradoxalement, plus nous nous sentirons dénués de ressources et plus nous utiliserons cette fragilité pour devenir forts.
Que nous le voulions ou non, l’existence nous confronte sans cesse à des situations auxquelles nous sommes plus ou moins préparés.
Notre cerveau construit des croyances pour nous permettre d’y faire face efficacement.
Mais plus nous élaborons des croyances rigides, impossibles à modifier, plus les situations qui s’en écartent sont difficiles à vivre.
Cette attitude obtuse et intolérante occasionne des conflits qui rendent le quotidien désagréable et nous font perdre confiance en nous-mêmes.
Et les réactions de défense qui s’ensuivent engendrent souvent une plus grande fermeture d’esprit…
Nous devons sortir à tout prix de ces situations piégées.
Le recadrage court-circuite ce processus dévastateur.
Au lieu de ne nous fier qu’à nous-mêmes, une réelle ouverture au monde et la confiance dans les autres nous enrichiront davantage.
C’est le contraire de l’orgueil et de l’entêtement.
Le recadrage nous concentre sur nos expériences, pour évaluer leur pertinence et leurs conséquences.
Il nous donne accès à des comportements modifiables, hautement adaptatifs, qui nous aident à faire face aux situations les plus diverses et les plus difficiles.
Il augmente la confiance en nos moyens.
Notre vie est privée de mode d’emploi et chacun de nous lui donnera une multitude de significations.
La société occupe une grande importance dans notre développement.
Mais quelles que soient les influences, nous devons développer notre autonomie et faire nous-mêmes les choix qui façonneront notre quotidien. Nous deviendrons ainsi les principaux artisans de notre bien-être.
Après tout, nous serons toujours les seuls à vivre toutes nos expériences.
Trop de gens restent tributaires des préférences des autres.
Devenus adultes, ce ne sont pas nos parents et encore moins l’opinion que nous croyons que les autres ont de nous qui doivent dicter nos choix !
De nombreuses personnes, depuis leur enfance, n’ont cessé de suivre les valeurs prescrites par la société: aller à l’école, trouver du travail, se marier, avoir des enfants, occuper un emploi valorisant (et valorisé), devenir riche…
Elles adhèrent à ces convictions sans même se demander si elles les rendront heureuses.
Combien d’entre elles se sont retrouvées avec tout ce qu’elles espéraient sans toutefois atteindre ce que ce système de valeurs leur promettait: le bonheur.
Selon certaines valeurs, il est impossible de s’accomplir complètement sans procréer.
Alors des couples font des enfants mais beaucoup ne s’en occupent pas parce qu’ils travaillent trop (car il faut aussi posséder deux voitures et une grosse maison !)
Les enfants dans cette situation risquent davantage de vivre des problèmes personnels et beaucoup de couples se séparent.
Les gens souffrent de dépression ou d’épuisement à mesure qu’ils accumulent des responsabilités en poursuivant leurs chimères.
Et ainsi naît l’ultime contradiction: à force de vouloir être heureux, ils deviennent malheureux.
Peut-être vaudrait-il mieux réfléchir davantage avant d’aligner notre vie sur des valeurs sans préalablement en évaluer la portée ?
La solution réside encore dans le recadrage.
Au lieu de reproduire sans réfléchir des valeurs sociales, nous pouvons nous approprier seulement celles qui nous conviennent véritablement, car certaines peuvent vraiment nous rendre heureux.
Le bonheur universel n’existe pas: il est physiologiquement impossible d’entretenir un état d’euphorie de façon durable.
La notion de bonheur varie également en fonction des gens.
C’est une bonne raison pour rester critiques devant ce que nous valorisons.
Ainsi, le recadrage vous fera peut-être refuser certaines valeurs que vous aviez jusqu’alors adoptées nonchalamment.
Par contre, celles que vous garderez correspondront à votre identité et vous rendront véritablement heureux.
Grâce à cette vigile consciente, les conséquences désagréables sur votre vie diminueront et les conditions du bonheur augmenteront !
La vigilance et l’évitement
Comprendre le fonctionnement de notre pensée et constater l’inutilité de certaines conclusions (se sentir inutilement coupable ou croire que la colère est la seule réaction possible, par exemple) changera beaucoup de choses.
Cette activité de contrôle ressemble aux comportements que plusieurs chercheurs ont identifiés et qui nous aident à faire face aux événements ainsi qu’aux émotions difficiles.
Il s’agit de la vigilance et de l’évitement.
Ces activités composent un modèle de gestion de l’anxiété qui s’intéresse justement à la manière dont nous traitons les informations2:
- La vigilance consiste à s’intéresser davantage aux informations liées à des expériences désagréables;
- L’évitement tend à empêcher le traitement de ce genre d’informations, généralement en dirigeant ailleurs notre attention.
Ce dispositif naturel d’adaptation prévient le traitement des informations négatives liées à des pensées ou à des événements désagréables.
Ce type de comportement minimise les risques que des situations dangereuses se reproduisent.
Comme l’a mentionné Parrot3, la vigilance et l’évitement aident à parer les éventuelles déceptions.
Parce que les agressions physiques nous portent préjudice, nous croyons qu’il en va de même pour les paroles et les événements.
Dans ce cas, seul le résultat de notre interprétation peut nous déranger.
Cette constatation soulève une étrange évidence: aussi cruelle que soit la critique d’autrui, et mises à part les atteintes physiques, rien d’extérieur n’a d’effet sur nous-mêmes.
Le préjudice que nous ressentons provient du sens que nous donnons aux choses.
Dans bien des cas, ce n’est donc pas la vie qui nous fait souffrir mais plutôt la manière dont nous la percevons.
Tout réside dans l’interprétation que nous faisons des événements et de la signification que nous leur accordons.
La recadrage valorise implicitement l’apprentissage et développe notre esprit critique pour nuancer nos interprétations.
Et un peu de curiosité nous dévoile rapidement les limites de nos connaissances.
Plus nous apprenons et plus nous remarquons avec humilité qu’en définitive nous connaissons bien peu de choses de la complexité du monde.
N’est-ce pas Socrate qui affirmait « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », malgré sa grande érudition ?
Le contraire consiste à entretenir des prétentions stériles qui nous empêchent d’apprendre en nous étouffant dans leur carcan d’idées préconçues.
Pour apprendre et s’adapter, il faut accepter ses faiblesses, être conscient de ne pas tout savoir et parfois commettre des erreurs.
Le recadrage encourage cette attitude.
Elle nous aide à déceler les manières dont nous nous autodétruisons sans même le savoir.
J’illustre d’ailleurs ce phénomène d’une curieuse manière…
Imaginez une personne qui, à l’aide de sa main droite, mutile son bras gauche avec un couteau.
Cette personne ressent toute la douleur mais ignore que c’est elle qui mutile son propre bras !
Cet exemple précise l’action du recadrage: il n’exerce son influence que sur ce à quoi nous portons attention.
Il est un état général de vigilance concentré sur ce qui se déroule en nous et autour de nous.
Ainsi, nous pouvons être conscients de souffrir mais inconscients des causes de cette souffrance parce que nous ignorons où diriger notre attention.
Les articles que je vous présente visent à vous fournir les informations nécessaires pour enrichir vos capacités à recadrer: identifier ce qui vous fait souffrir (les distorsions cognitives) et savoir comment mettre un terme à leurs funestes conséquences.
Pour reprendre mon exemple de l’automutilation, c’est comme si, tout à coup, la personne devenait consciente du fait que c’est elle qui se blesse.
Elle verrait vite qu’elle n’a aucune raison de continuer, car il est très rare que l’on se fasse mal de son propre gré.
Il en ira de même avec vos distorsions cognitives.
Maintenant conscients de ces lacunes naturelles, la première fois que vous constaterez que vos distorsions cognitives vous font souffrir, vous n’aurez aucune raison de les perpétuer et vous cesserez ce travail d’« automutilation » mentale…
Apprendre à utiliser le recadrage
Si le recadrage était spontané, nous nous en serions aperçus depuis longtemps !
Tout comme la lecture et l’écriture que l’on nous a enseignées à l’école et qui nous sont utiles chaque jour, nous devons apprendre à l’utiliser.
L’idée selon laquelle la psychothérapie nécessite un apprentissage n’est d’ailleurs pas nouvelle.
Les bienfaits thérapeutiques ne se font sentir qu’à travers une transformation des croyances et des comportements.
Il faut donc apprendre à changer.
Ellis et Whiteley4, entre autres chercheurs, ont déjà adopté cette perspective.
Pour que la métacognition soit efficace, nous devons donc valoriser son utilisation et l’adaptation qu’elle procure.
C’est la raison pour laquelle je l’ai comparée à une expertise.
Lorsqu’une distorsion cognitive survient, nous nous laissons souvent emporter par le flot d’émotions négatives qui nous inonde.
L’effort apparemment surhumain que vous devez fournir pour remettre en question la distorsion ne semble pas invitant.
Pourtant, trois constatations vous convaincront du contraire:
1. Si vous vous laissez aller, en plus de souffrir, vous devrez faire plus d’efforts pour régler la situation.
Si vous laissez la crise s’installer, elle engendrera des conséquences qui seront beaucoup plus difficiles à neutraliser, lorsque ce sera encore possible…
À la différence, le recadrage désamorce tout simplement la situation désagréable et permet d’en ressortir.
2. Plus vous pratiquerez le recadrage, plus vous constaterez ses conséquences positives et plus il vous sera rapide, facile et « naturel » de le mettre à contribution.
Les mesures de contrôle se consolideront à mesure que vous y recourrez, à mesure que vous renforcerez l’association entre le contrôle et les situations où il s’exerce.
Autrement dit, le recadrage finira par s’imposer de lui-même.
3. L’effort nécessaire pour utiliser le recadrage n’a rien de surhumain.
Ses dimensions plus grandes que nature sont elles-mêmes suggérées par des distorsions cognitives !
Par exemple, peut-être concluez-vous qu’il est impossible de changer quelque chose avant même d’avoir essayé ou généralisez-vous l’effort en le voyant comme une montagne.
Votre attention et votre conscience s’attachent à ce qui vous intéresse et vous motive. Si vous êtes convaincu du bien-fondé du recadrage, vous serez plus enclin à l’utiliser justement parce qu’il vous avantage !
Nos processus cognitifs sont hautement complexes mais nous conduisent souvent à des conclusions incroyablement limitées.
Par exemple, combien de fois avons-nous fondé nos choix sur de simples impressions, sans jamais avoir eu le temps d’analyser ni de comprendre ce dont il était question ?
C’est ce qui se passe lorsque nous ne sélectionnons qu’un ou deux éléments négatifs d’une situation pour l’évaluer en entier et y réagir.
Pourtant, nous pourrions enrichir ce point de vue de plusieurs aspects, plus positifs, dont nous oublions souvent de tenir compte…
LA grande question…
La liste de nos limites est longue et celle de leurs conséquences fâcheuses l’est encore plus: émotions destructrices, incapacité à ressentir de la satisfaction, déception, dévalorisation, révolte, jugements hâtifs, conflits avec les autres, etc.
Heureusement, le recadrage engendre la modération.
Il corrige nos raisonnements, modifie adéquatement le contenu de nos représentations et favorise notre bien-être.
Bien sûr, la validité dont je parle n’équivaut en rien à une vérité universelle.
Des croyances et des conclusions plus valides sont simplement plus complètes.
Pour comprendre nos limites et nous adapter, le recadrage pose toujours une seule grande question: Avons-nous plus d’avantages ou d’inconvénients à entretenir nos croyances et nos comportements ?
Si la réponse va dans le sens des inconvénients, nous prendrons conscience des risques de vivre des situations difficiles dont nous serons la cause.
Comme le recadrage qu’elle suscite, cette question simple est utile dans toutes les occasions.
Je vous suggère de faire une liste des avantages que vous retirerez à vous la poser.
Cette liste vous permettra de vous rappeler vos succès dans le futur.
Tous les avantages que vous retirez à adopter le recadrage !
Le recadrage n’est pas seulement un outil, il peut également devenir une valeur !
Pratiqué quotidiennement, il nous fait bénéficier de nombreux avantages:
Il augmente notre adaptabilité aux événements.
Nous sommes plus ouverts, réagissons mieux et de manière moins impulsive, ce qui augmente notre bien-être.
Il nous aide à apprendre de nos expériences.
Sans que nous nous en apercevions, chaque événement nous permet d’apprendre de la vie et mérite toute notre attention.
Le recadrage nous encourage à mieux nous connaître, ce qui nous aide à faire des choix éclairés qui nous rendent heureux et authentiques.
Il nous rend incroyablement résistants.
La fonction première du recadrage consiste à nous empêcher d’interpréter les événements trop directement, de façon erronée ou seulement à partir de nos émotions.
Il introduit donc une distance qui nous aide à affronter les épreuves.
Il développe une saine estime de soi qui nourrit suffisamment de confiance en nous pour nous aider à réussir ce que nous entreprenons de manière réaliste.
Il nous aide à voir positivement la vie et l’avenir.
Il entretient la motivation dans nos activités quotidiennes autant que dans nos entreprises à long terme.
Il nous garde alertes et nous aide à surmonter les obstacles que la vie met sur notre route.
Il tempère les flots d’émotions inutiles et dévastatrices qui nous inondent à la suite des distorsions cognitives, des conflits, de l’autodénigrement, des souvenirs difficiles, etc.
Il nous aide à considérer les autres avec équité.
Aucune mesure ne permet d’évaluer notre qualité individuelle, pas même le statut social ou les réalisations personnelles.
Le recadrage accorde donc une valeur propre à chacun.
Dans ce contexte, se comparer aux autres devient vite une démarche absurde.
Le respect et l’absence de compétition montrent que nous gagnons plutôt à coopérer.
Cette vision nourrit des relations harmonieuses qui génèrent aussi du bien-être.
Je pourrais allonger davantage cette liste, mais je vous laisse le plaisir de la faire à mesure que vous utiliserez cet outil fantastique !
Bien que la métacognition permette une réelle maîtrise de votre vie, elle vous aidera surtout à surmonter l’automatisme de vos réactions, pour éviter que les événements vous rendent malheureux.
Si cet article vous a plu, sachez qu’il est tiré de mon livre Petit traité antidéprime. Vous pouvez vous le procurer en version ebook pour le lire en entier.
Références
- LEWIN, K. (1951), Field theory in social science; selected theoretical papers, New York, Harper & Row, 346 p.
- MCM: Model of Coping Modes, voir KROHNE, H. W., M. Pieper, N. Knoll and N. Breimer (2002), «The cognitive regulation of emotions: The role of success versus failure experience and coping dispositions», in Cognition and Emotion, vol. 16, number 2, p. 217-243.
- PARROT, W. G. (1993), «Beyond hedonism: Motives for inhibiting good moods and for maintaining bad moods», in D. W. Wegner and J. W. Pennebaker (dir.), Handbook of mental control, Englewood Cliffs, Prentice Hall, p. 278-305.
- ELLIS, A. et J. M. Whiteley (1979), Theoretical and empirical foundations of rational-emotive therapy, Monterey, Brooks/Cole Publishing company, 274 p.
Laisser un commentaire